CAHIER D’UN RETOUR A LA VILLE DE MON ENFANCE.

Depuis que je suis devenu un résident légal des Etats- unis d’Amérique , la seule terre étrangère ou j’aie  jamais vécu en dehors de mon pays, je n’ai raté  aucune  des fêtes de fin d’année dans ce beau pays d’Haïti que j’aime encore d’un amour charnel. Si La noël, je l’ai toujours  réservée aux amis de l’Extérieur, le nouvel an par contre, est généralement  laissé  aux parents et amis du pays de mon enfance..Rentrer au patelin  a cette époque précise de l’année donne souvent l’occasion  de  vielles retrouvailles d’amis et de condisciples perdus aux quatre coins de la planète et qui font comme moi, ce retour au pays natal, a la terre de leur enfance pour revivre les souvenirs du temps passé …Retourner a Hinche  est toujours comme un pèlerinage a une terre sainte et lointaine pour adorer je ne sais quoi ,mais pour célébrer la tradition et cultiver  cette ferveur patriotique dont la sève en moi est encore débordante et vigoureuse. C’est ici que commença la résistance a l’occupation ; C’est une terre de gens rebelles .Revoir là-bas des amis  et des visages familiers  a toujours été et reste encore  un plaisir dont j’ai du mal à me défaire. Avant, j’y allais  pour les chers parents qui attendaient mon arrivée et que je ne voulais pas décevoir. Maman et ma tante, deux sœurs qui s’aimaient bien, préparaient encore, malgré l’âge avancé, cette liqueur sirotée qui, bouillie dans des  tiges  de cannelle et d’anis étoilé, puis macérée dans  ces plantes de calalou et dans de l’alcool, laissait  dans l’air une odeur de vanille et sur le palais une saveur particulière tant elle glissait bien  a cause de sa caractéristique gluante et de l’excitation que causait l’alcool en faisant  hérisser les papilles  de la langue.  Alors  Gosse, je me souvenais toujours combien papa était fâché lorsque grand-frère, pour la première fois nous faisait faux bond au jour de l’an, restait en ville avec sa bien aimée, et n’était pas rentré  au bercail pour célébrer en famille. Ma mère qui fut couturière, passait toujours la nuit du 31 décembre à nous coudre une nouvelle chemise  parce dans sa superstition, la seule peut-être qu’elle pratiquait d’ailleurs, a part qu’elle priait beaucoup, était que  nous aurions de la chance et jouirions du bonheur tout au cours de l’année si nous nous levions avec des habits neufs  au matin du premier Janvier. Malgré la température encore froide de l’eau de la rivière, on s’y rendait tous en grand nombre  au petit matin pour  se baigner et s’y plonger a plein corps, chassant ainsi toutes les mauvaises fortunes de l’année finissante. On s’attendait toute la journée, a une horde d’enfants  du quartier et d’ailleurs, venus frapper a la porte, souhaiter la raisonnée aux plus âgés, et recevoir leurs étrennes comme au jour de l’Halloween aux USA  ou les enfants  font  du «  porte a porte » pour collecter des présents. Mais il n’en est plus rien. Les enfants grandissent et semblent disparaitre. Et les traditions meurent avec eux..Beaucoup de nos habitudes, reflets de notre culture , s’égrainent  au fil des ans. Les marchand-tailleurs, les cordonniers n’ont pas transmis leur métier à la génération subséquente et nous sommes un pays d’habits usagers et de souliers de deuxième main, de deuxième pied ,j’allais dire. On est sans créativité, sans ingéniosité .Plus de réveillon au soir du 31 décembre !!! Ailleurs, les  gens passent encore la nuit à danser ; Et, sans considération pour ceux du voisinage,  ils vous crèvent  le tympan par leur musique toute haute en décibels .La soupe au giraumon qui fume de bonne heure  sur la table est une tradition qui perdure cependant. Elle est le seul butin que nous ayons arraché  au colon après l’avoir pourchassé du pays. Il y avait autrefois, une bande a banjo, au tambour ,au bambou et au manuba qui passait au soir du premier janvier s’arrêtant  de porte en porte collectant par ci un litre de tafia, par la  quelques piastres, et lançant a tour de rôle des  chants patriotiques a n’en plus finir. Je réalise de plus en plus, et surtout dans mes récents voyages au pays, que demain ne sera jamais comme avant. Dans la vielle maison ou j’ai grandi, papa était le premier à nous quitter. Ma mère l’a suivi quelques années plus tard. Puis ma chère tante qui les a aides a nous élever, est depuis, elle aussi  partie. Et à chaque fois que je retourne au bercail, c’est une autre tète de la ville qui s’efface et disparait. Chacun emportant avec lui une part de mémoire, un pan de souvenirs et d’histoires. Tant de souvenirs gravés dans ma mémoire qui me tourmentent quand je suis loin de mon  pays et  qui font de moi un prisonnier de mon passé. Quand j’y retourne parfois, je me demande pourquoi ne pas aller ailleurs ? Je  suis souvent resté  sans réponse véritable à ma propre question…. Je sais cependant que je me sens  libre à nouveau chaque  fois que descendant de l’avion, je commence à respirer le vent fort qui me fouette les narines et me souhaite la bienvenue au bercail. Car ici, malgré tout, malgré l’apparente aisance dans laquelle je vis, je suis toujours prisonnier de la vie qui m’entraine, des responsabilités au quotidien, des factures à honorer. Je deviens homme, Je ne suis plus machine, ni un simple numéro sur une puce électronique, sitot que je refoule la terre de mon enfance.. 

Rony Jean-Mary,M.D,
Coral Springs, Florida,
le 28 Janvier 2019

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