MEMOIRE D’UNE ENFANCE RICHE ET COMBLEE.…
Par la fenêtre de ma chambre, au dehors, cet après-midi, je regardais tomber la pluie…..Nous sommes au mois de Mai, au beau milieu du printemps, à l’heure où cette eau prodigieuse nous tombe du ciel en rythmes accentués et redonne à la terre sa jeunesse éternelle. Un peu partout, les arbres reverdissent. Les feuilles mortes arrachées par l’automne et enfouies dans les décombres de l’hiver, nous reviennent plus vertes et plus fécondes.. Ces arbres porteurs de fruits, et qui en sont déjà bien chargés, vont murir bientôt, à la grande joie des enfants qui arriveront en vacances, une fois que l’école aura fermé ses portes. On se prépare déjà à l’été choc et sensationnel des journées à la plage, des bals et des festivals , comme des fêtes champêtres qui voient les villes et les villages bonder de gens et de véhicules qui repartent aussitôt la messe finie. Le bal du soir de la fête est souvent une affaire de riverains qui auront demain en congé pour se reprendre des fatigues de la veille. Certains se parent des couleurs de la patronne en signe de gratitude pour les bienfaits reçus ; Et d’autres qui n’ont rien reçu, reviendront encore, l’année prochaine, eux aussi, espérant que leur persistance et leur dévotion finiront par porter fruit.
Enfant, j’observais tout cela sans y participer car les règles étaient strictes à la maison, et ne sortaient pas qui voulaient : Sauf pour l’église et l’école. Pourtant, Cette douce sensation est bien connue de l’homme que je suis, qui a passé toute sa vie en pleine nature, et qui n’a connu de son enfance que la lune du bon Dieu pour son seul éclairage la nuit, sitôt que la brume du soir étendait son manteau de ténèbres sur la plaine endormie, et que les parents cherchèrent partout leurs enfants pour les faire rentrer, comme une poule rassemblant ses poussins sous ses ailes. Je ne sais pas trop pourquoi. Je retourne toujours à mon passé heureux, à mon enfance tranquille et joyeuse dans cette ville où je suis né, dans les campagnes où j’ai grandi, et où chaque pierre raconte une histoire vécue ; où chaque détour d’un sentier aujourd’hui perdu sous les herbes qui le recouvrent, et abandonné par le temps, reste un témoin anonyme de ce qui n’est plus, de ce qui ne sera plus jamais. Je ne suis peut -être pas le seul à trouver refuge, fut- il temporaire, dans les bons jours d’autrefois, pour affronter les péripéties d’une conjoncture donnée.. Car si tant est vrai que notre force est dans notre passé, nous sommes bien le produit des nos expériences, des leçons que nous tirons de nos échecs, des ajustements encourus pour répondre aux aléas du temps présent. Les gloires sont éphémères et n’enseignent pas grand-chose ; notre vrai maitre, c’est la douleur. Chaque fois que je suis bouleversé par les vicissitudes inhérentes à cette vie, surtout à l’occasion des temps pluvieux, c’est à mon pays que je pense, au roucoulement des tourterelles qui faisaient l’amour, perchées sur un palmier, au croassement des corbeaux et au coassement des grenouilles qui se reprenaient à tour de rôle , comme en concert, la nuit dans les marres d’eau périphériques.. J’aimais aussi ces soirs après la pluie ou tout était d’un calme olympien jusqu’à ce que, dans le lointain, arriva le son d’une flute dont les notes s’élevèrent au ciel tel un concert angélique au grand architecte de l’univers.Je ressens encore, comme à chaque saison pluvieuse, ce besoin d’aller me retremper dans l’eau claire et limpide de mon village, d’arracher les mangues et les oranges directement de leur branche, avant même qu’elles ne touchent le sol, pour approcher de mon nez, l’odeur toute naturelle qui s’en dégage et qui me remet en communion avec la saine nature. Le 18 Mai a toujours revêtu un cachet particulier. Car les enfants, rassemblés tous sur la pelouse de la caserne, chantèrent à l’unisson : « c’est nous jeunesse étudiante, demain la gloire d’Haïti, …la tête altière et hauts les fronts «…et marquèrent le pas, au rythme de la fanfare qui nous accompagnait. Mon pays avait une âme.. Et c’était sa seule arme. On étudiait encore dans les écoles l’instruction civique et morale. Même au temps fort de la dictature, On savait que l’Etat passait avant tout. Si mon père fustigeait les fêtes préfabriquées et celles des dates 22 à n’en plus finir, par contre le 1er janvier et le 18 Novembre restèrent des jours sacrés à ne pas négocier. Les enfants de mon pays que je rencontre sur mon chemin aujourd’hui, ne parlent plus de la guerre de l’indépendance avec la même fougue, la même hardiesse que j’en parlais moi-même en mon temps. La pluie qui tombait cet après-midi, s’est retirée depuis tantôt deux heures..Elle a ravivé cependant ma nostalgie. Elle m’a rappelé aussi que la terre est encore sèche la –bas, que les rares paysans qui cultivent encore les champs, comme le fit mon père en son temps, attendent des gouttes providentielles pour mettre en terre quelques grains, et soulager leur bétail qui meurt de la sécheresse. Je retournerai bientôt me ressourcer à mes us et coutumes. Je me vois déjà ma machette à la main, sarclant et taillant les mauvaises herbes qui nuisent à ma culture.
Rony Jean-Mary, M.D.
Corral Springs, Florida,
Le 5 Mai 2019.