LE DERNIER TANGO DE MYRIAM

Myriam avait 17 ans quand elle épousa un jeune soldat Américain stationné sur une base Américaine de Grande Bretagne.  Elle est de nationalité anglaise..                                                                                                                      La deuxième  guerre mondiale  venait tout juste de prendre fin. La popularité de l’Amérique était à son paroxysme. C’était le temps fou, comme il en existe  encore de ce temps –la  aujourd’hui, où les jeunes femmes des pays nordiques, couraient  après les soldats américains partout où ils passèrent, eux  qui les marièrent et les ramenèrent au pays d’où ils venaient.                                                                                                                       Aujourd’hui, elle a 76 ans. Elle a été sur presque tous les continents avec son cher époux, jusqu’au jour où ce dernier mourut dans ses bras, tout juste six ans de cela, quelques dix mois après qu’ils aient emménagé dans leur nouvel appartement. Triste de sort pour une femme qui n’a connu qu’un seul homme de sa vie ; et pour qui elle fut une compagne assidue et fidele pendant près de 54 ans de vie commune. Comme elle venait à peine de prendre logis dans le nouvel appartement, la perte de l’être cher devait etre le cadet de ses soucis, elle qui espérait encore avoir son mari pour des années à ses cotes. J’ai rencontré Myriam dans un centre de réhabilitation  pour alcooliques.  Car, depuis la mort de son mari, elle boit éperdument, allégrement , cherchant ainsi à noyer son chagrin et son désespoir. L’addiction ne rentre jamais par la grande porte, C’est toujours en cherchant à soulager une peine  ou à noyer son chagrin, une douleur morale ou émotionnelle quelconque, qu’on finit par en attraper un plus grand vice.

Depuis six ans, elle vivait seule dans son appartement, gardant minutieusement  des décennies de souvenirs, d’articles collectés un peu partout ici et ailleurs,  à travers les nombreux états où ils ont vécu , des océans qu’ils ont traversés  ensemble , et des continents qu’ils ont foulés  d’un bout a l’autre pendant le  service militaire.

Myriam se porte bien pour son âge, mais elle n’a plus le gout des nouveautés, car c’est un trait de caractère  qui disparait en vieillissant. On réalise peut- être qu’à un certain âge, on n’a pas assez de temps pour vivre et embrasser tout ce qui vient échouer à ses pieds.

On  devient alors sélectif, nageant dans sa baignoire et évitant les courants d’eau profonds. Quand j’ai parle à Myriam l’autre jour, et discutant de ses projets d’avenir, elle m’apprit avec un sentiment de soulagement mêlé de regrets, qu’elle devra bientôt laisser l’appartement pour rejoindre sa fille unique qui vit en Géorgie.

Elle comprend qu’elle a bien essayé de vivre seule ,mais qu’elle a besoin d’être plus près des siens de cette sécurité émotionnelle, faute de quoi, ce sont les maisons de retraite qui s’ouvrent à sa portée. Les gens du troisième âge, particulièrement ceux qui ont soixante –dix ans  et plus, ont toujours eu cette peur bleue de rentrer dans les maisons de retraite, car cet acte s’accompagne toujours d’une perte totale de son autonomie, voire de sa capacité décisionnelle.

Et quand Myriam m’apprit qu’elle s’en ira directement de l’hôpital et ne retournera pas dans son appartement avant de rejoindre sa fille, je lui proposais de faire un tour dans ce qui sera bientôt son ancienne habitation et de regarder l’appartement pour une dernière fois. On a toujours besoin de cette transition en  douceur pour fermer une page de sa vie avant d’en ouvrir une autre.

Ce n’est pas sans raison que le criminel revient toujours  sur les lieux de son crime.il a toujours ce besoin de savoir que le crime était parfait et qu’il n’a point laissé  de traces.

Encore plus Myriam aura-t-elle ce besoin de fermer le  livre des souvenirs, des traces de son époux mort dans cet ancien appartement, de dire  adieu à ses ami(e)s et voisin(e)s, et de savoir ce qu’il en est des tas de souvenirs collectés  au fil des ans et ensevelis ça-et-là dans son subconscient.

Même en les passant physiquement à autrui, nous gardons cependant la  mémoire intellectuelle des biens ou objets que nous possédions. Myriam partira  bientôt de l’hôpital où elle était rentrée, trois semaines de cela, pour se faire soigner de son alcoolisme.  Elle entamera sitôt après, le dernier tango de sa vie…libérée de son alcoolisme  mais replacée sous la surveillance de sa fille..

Et nous aussi, exécutant chaque jour un nouveau tango, nous valsons au rythme du temps, fixant les priorités du moment tout en naviguant dans les incertitudes de l’avenir.

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