POURQUOI TANT BANALISER LA VIE
ET DESACRALISER LA MORT ?.
Dans un entrefilet paru en 2017 dans les colonnes du Newsletter, sous le titre « ces morts qui meurent des fois et des fois encore », j’avais sonné l’alarme sur le problème de carence de cimetières auquel le pays fait face depuis un certain temps. Au cours des trente dernières années, A part deux ou trois grandes villes où s’est matérialisé l’aménagement d’une espèce de nécropole pour nos surplus de disparus, partout à travers le pays , c’est le même problème qui se fait sentir : problème de cimetières trop exigus qui regorgent de corps morts et de cercueils défoncés au besoin pour faire de la place à d’autres cadavres venus à bord tout récemment.. J’ai explique comment le nombre de jardins funèbres n’avait pas augmenté dans le pays alors que la population n’a cessé de s’accroitre. J’avais ajouté que la façon de traiter les morts est un reflet direct du traitement que les vivants se donnent entre eux, et qu’on ne saurait avoir de respect ou de considération pour les restes de nos défunts si, de leur vivant, on n’avait pas appris à leur fournir le traitement décent et humain auquel ils avaient droit. Si j’ai fait tout ce beau parcours avec vous, c’est pour parler d’un nouveau phénomène qui est observé depuis quelque temps un peu partout a travers le pays et particulièrement à la capitale. Il s’agit de cadavres qui restent trop longtemps dans les rues et que les gens côtoient pendant des heures avant qu’ils ne soient enlevés de la voie publique. Je ne dis rien que je n’appuie de quelques exemples disait Jean de Lafontaine dans son récit sur le suppôt de Bacchus qui altérait sa sante, son esprit et sa bourse.Il y a tout juste un mois et demi de cela, dans une émission de nouvelle matinale, on racontait comment des chiens déchiquetaient le corps inerte d’un riverain exposé à même le sol, on ne savait depuis combien de temps, entre la deuxième et la troisième Avenue Bolosse près de la grand-rue.Cette semaine encore, c’est une autre station de Radio qui expliquait la présence d’un cadavre laissé sur le trottoir, et que les gens traversèrent à loisir sans que personne n’ait eu la moindre décence d’en couvrir le visage en attendant que le service concerné en vienne à ramasser le corps. Pis est, une marchande de fritures, non loin de là, étalait sa barque et vendait ses produits comme si de rien il s’agissait. Parfois ces cadavres restent des heures sur le trottoir au su et au vu de tous, particulièrement des services concernés qui ne pipent mot. Depuis quelques instants nous assistons à ce qu’on appellerait une banalisation de la vie sinon à une désacralisation de la mort, un phénomène devant lequel on aurait du tous s’incliner avec le plus profond respect. Même dans une ère aussi scientifique et rationnelle comme celle où nous vivons , il existe encore de la place pour cette culture animiste où le respect dû au trépassé et à sa mémoire ne se négocierait sous aucune forme de procès..Chez nous au contraire, la loi de la jungle et l’exaltation du cannibalisme sont des formes de comportement de plus en plus observées parmi le peuple. On brule vif des individus, on lapide certaines gens sous Le moindre soupçon d’être l’instigateur d’un méfait quelconque.. Le pire dans tout cela est qu’il n’existe aucune voix à s’élever contre de telles pratiques et à demander qu’on arrête de tourmenter nos morts une fois qu’ils sont déjà morts. Il est vrai que le phénomène a refait surface en 1986 pour s’étendre au delà-des trois dernières décennies et parvenir jusqu’à nous. Mais il faut reconnaitre que cette culture a précédé 86, puisqu’au fort du régime de Papa Doc, on volait des cadavres d’opposants au beau milieu de la messe et on empêchait à leur famille de leur donner la sépulture appropriée. Il est vrai que le problème de lynchage et de décapitation a été l’apanage de presque toutes les sociétés .En effet, jusque dans les années 50 ,on lynchait encore des noirs aux Etas unis sous le regard complice et silencieux des membres du village qui étaient tous là à applaudir et à rire….. Je disais l’autre jour à un artiste Américain , fin intellectuel, à qui je parlais, que l’une des vertus de la société Américaine est de pouvoir se réinventer plusieurs fois de suite et de se corriger des erreurs du passé en reprenant la bonne voie, la voie royale. Faute de leaders peut-être, Chez nous ce que nous observons, c’est une descente aux abimes qui a même trop duré. Nous nous demandons à chaque fois jusqu’où pouvons nous encore descendre avant de commencer à remonter la pente ?…Je semble toujours avoir plus de questions que de réponses. Car, à phénomènes nouveaux, correspondent toujours des explications nouvelles. je laisse alors aux sociologues, aux ethnologues et à tous ceux-là que la question intéresse, le soin d’expliquer le phénomène de la banalisation de la vie. Dans ma tentative d’explication du phénomène, je pense qu’à force de vivre si fragilement au jour le jour, et de voir mourir à petits feux tant de gens chaque jour sous ses yeux, on finit par croire que les cadavres sont comme des vivants parmi nous, une extension de nous, que c’aurait pu être nous et qu’il ne faudrait pas s’en alarmer outrement. Il y a comme une incarnation de la fatalité qui mène à l’indifférence et qui porte à dire que plus tard ou demain viendra mon tour, alors qu’importe ? . Mais le triste dans tout cela, c’est qu’il y a aujourd’hui les enfants qui suivent nos moindres gestes et qui les reproduiront textuellement demain, perpétuant ainsi le cycle de la déliquescence sociale et de la déperdition. Quand on sait qu’il faut au moins quatre générations pour changer les mentalités (des enfants qui transmettront à leurs enfants ce que leurs parents rapportaient du temps de leurs grands-parents),on réalise tristement que mous allons tous mourir dans le désert et que le changement espéré n’est pas pour demain. .,
Rony Jean-Mary,M.D,
Coral Springs,FL,
Le 28 octobre 2019