Alfred Gérard Noël, MS, PhD.
En guise de réponse à ses activités de loisir, le professeur Noël informe qu’il divise sa tâche quotidienne entre la recherche en mathématiques, jouer la guitare et l’étude de la philosophie avec une précision franche révélant le mélange de l’ingénieur fixé sur l’exactitude et l’artiste qui conçoit et qui parle des mathématiques comme une langue, quitte qu’il ne cède pas au pathos de prendre le dessus, pas de prime abord. Ainsi son naturel se définit comme une affinité avec l’éthos mécanique des Allemands, l’instinct rebelle de l’enfant terrible, prêt à et voulant explorer de nouvelles idées, sillonner les chemins moins battus, n’en déplaise la convention. Après une interview, on a la nette impression d’un esprit brillant, d’une personnalité complexe, mais d’un homme avec un grand cœur, dans l’écosystème où la conviction et l’engagement sont jumeaux. Il a pris le temps malgré un horaire chargé, d’aider nos frères et sœurs de la terre natale. Il s’est porté volontaire pour enseigner pro bono au sein de l’ISTEAH (Institut des Sciences, des Technologies et des Études Avancées d’Haïti) établi par GRAHN-Monde. Il a gravi l’étape de long et de large en apprenant à écrire le Créole, s’immisçant dans les nuances de cette langue qu’il n’avait pas utilisée depuis belle lurette et finalement en écrivant un manuel de mathématiques avancées de niveau universitaire dans ce vernaculaire. Ceci n’est pas une faute de frappe. Un professeur titulaire à l’Université de Massachusetts (UMass) de Boston dans le département des mathématiques, un ancien chercheur au MIT, vient d’écrire le premier livre d’analyse en mathématiques en Créole, à travers Les Presses Internationales GRAHN-Monde.
Né aux Cayes en Haïti, il a terminé ses études secondaires au Collège Anglade et a étudié au Centre Pilote de Formation Professionnelle avec une concentration sur l’Électrotechnique. Il a émigré aux États-Unis en 1982 et a fréquenté le Control Data Institute en Burlington au Massachusetts où il a appris la programmation informatique. Il est allé ensuite à l’Université Northeastern à Boston pour poursuivre un degré en informatique. Un professeur à l’école impressionné par son aptitude en mathématiques, un Irlandais du nom de Terrence Gaffney, l’avait fait prendre plusieurs examens qu’il a réussis si bien qu’il a reçu une offre pour aller à la maîtrise. Une fois diplômé, il a travaillé dans le secteur privé pour 7-8 ans.
Il est ensuite retourné à l’école pour obtenir un doctorat en mathématiques à Northeastern et en 1997 il l’a décroché sous le professeur Donald R. King, comme directeur de thèse, lui-même un diplômé de MIT et un noir américain. Il était alors âgé de 41 ans. Pendant la prochaine année, il a fait de la recherche sur le problème Y2K et a ensuite accepté un poste académique à UMass comme assistant-professeur. Il a passé l’année académique 2000-2001 à MIT comme un assistant-professeur visiteur. Il y retourna en 2006 pour participer à une recherche théorique révolutionnaire sur « Atlas of Lie Groups and Representations Project E8 » (aimath.org) avec le titre d’expert invité.
Cela fut un exploit de grande envergure parce que seulement un petit groupe de mathématiciens au monde en faisait partie et c’était un projet très compliqué. D’après la description officielle de l’étendue du projet sur le site web, tandis que le « Genome Project » nécessitait 1 gigabyte, le « Project E8 » par contre demandait 64 gigabytes. Sa maîtrise en informatique a fait toute la différence pour le professeur Noël, car il avait apporté une approche innovatrice pour régler le problème. Il est actuellement actif dans l’écriture d’articles académiques sur cette recherche pour publication. La description du projet me laisse abasourdi vu sa profondeur et la super érudition requise. Quoique sa participation dans une telle recherche approfondie soit en elle-même une réussite remarquable, le professeur Noël tient à la minimiser et n’est pas si réceptif aux compliments. Cependant, nous qui connaissons mieux, sommes d’une autre opinion, car dans ce monde hermétique des mathématiques théoriques, un paysage qu’il admet n’est sympathique aux membres de minorités ethniques, et nous pensons qu’il faut l’applaudir, car c’est une étape colossale. Il a aussi passé 6 mois à Harvard pour faire de la recherche avancée. Cependant, il est toujours à UMass et détient le titre de professeur titulaire depuis 2010.
D’après le professeur, dans l’atmosphère raréfiée des mathématiques académiques, la recherche sur des nouvelles théories et chercher la solution des problèmes et surtout la publication sont primées. L’écriture d’un manuel d’habitude ajoute peu à un palmarès et si la vérité doit être révélée, cela prend du temps qui serait mieux utilisé pour la recherche. Quand même le professeur Noël a senti cette nécessité, car dans ces entretiens avec les étudiants venant d’Haïti, il a réalisé qu’ils sont fluents principalement en Créole quel que soit leur degré de scolarité. Comme un legs, il a décidé d’écrire ce manuel. Ce faisant, il est tombé amoureux de la langue. Son engagement à la terre natale est incontesté et aussitôt qu’en 1996, il a formé la Société Scientifique Haïtienne. Il est un membre de GRAHN et est le premier Directeur du Centre de Recherche de Mathématiques à l’ISTEAH.
Son dévouement pour l’enseignement scientifique en terre natale est ferme. Il avait organisé pour cet été passé un séminaire pour 2 semaines par des scientistes de la France, des États-Unis, d’Italie, de l’Afrique sous l’égide de CIMPA (Centre International de Mathématiques Pures et Appliquées) (cimpa.org). Ç’aurait été une deuxième rencontre, mais il a dû l’annuler à cause de l’instabilité politique. Il est très frustré avec le bas niveau de connaissances en informatique parmi les élèves en Haïti aussi bien que l’isolement du pays de l’intégration et des percées scientifiques. Il ressent un grand besoin de refonte du système éducatif, spécialement en matière de la propagation de la connaissance scientifique.
Au sujet des défaitistes qui répètent toujours le canard que le Créole n’est pas une langue, la publication de ce manuel doit avoir le retentissement d’un bruit mat à travers toute la diaspora pour mettre en effigie l’argument contraire. C’est un tour de force pédagogique en plein essor. Dans la préface, il offre une réplique à Camus qui se plaint de « l’invisible système planétaire….je ne connaitrai jamais. » Sa réponse, « C’est dans cette démarche solitaire, pénétrante, à la fois chaotique et ordonnée que réside à notre avis tout le génie créateur de l’artiste mathématicien(ne). » Puis il choisit David Hilbert, un fameux mathématicien allemand, dans une allocution le jour de sa retraite pour expliquer sa vision vers l’analyse mathématique. Cette allocution est écrite en Allemand et en Créole. Les deux dernières lignes constituent la formule :
«Alaplas iyorans sòt sa a, an nou kenbe pou deviz nou :
Nou dwe konnen, n ap rive konnen. »
Cette méthode quand arrivée à son extrême peut être considérée « Sturm und Drang », popularisée par le Roi Christophe. Cependant, puisque le manuel est supposé représenter une introduction à une langue, dénommée les mathématiques, pour ces amants, dans un voyage rempli d’aspirations et de rêves, serait-il possible que ce soit le baptême de feu de l’artiste et si on pouvait prolonger la métaphore, même son « bildungsroman ? »
Cette décision d’écrire en Créole porte l’auréole d’un esprit bien formé et bien fait. Ce que les autres considèreraient comme passe-temps, mais qu’il traite comme du boulot incluent l’écriture des histoires courtes, de la poésie en…français aussi bien que la lecture de Spinoza et Nietzsche. Il a une belle touche sur la guitare dans le style classique, mais il se classifie au niveau intermédiaire. Il sympathise avec la notion du karma et du destin, mais il est le premier à éviter les catégories rigides. Ceci représente une personne complexe. La mentalité de praticité de l’ingénieur et la sensibilité du poète, arrosant la dernière d’un voile subtile avec une mince volute de clair-obscur sans y renoncer, car il juxtapose ses œuvres littéraires avec ses activités scientifiques sur son site web (math.umb.ed). Parmi ses œuvres littéraires, j’ai choisi ce poème que chacun peut interpréter à sa façon.
Le Théore Empaillé
Par
Alfred G. Noël (2016)
Je glisserai sur le viol enflammé qui m’a vu naître
«De la laitance d’une aube incertaine »[1]. Peut-être …
Mais j’ai su, de temps en temps,
Capturer l’évanescente immobilité du temps.
Entre enfin le Président de l’Académie
Dégageant une odeur d’alchimie,
Offrant une bouche édentée,
Habituée aux rudes voluptés,
D’où sort un air méphitique,
Pour déclarer l’ouverture de la Critique
En criant d’une voix mélancolique,
A genoux sur un grand canapé,
« Emmenez le Nègre à l’œuvre diabolique
Et apportez l’épée ! »