Croyances, plantes et médecine ancestrales en Haïti.
Je débarquais au pays natal de Miami, après une longue absence de sept mois, courtoisie de la COVID-19. En allant chez moi de l’aéroport, stupéfié et pétrifié, j’observais des fourmilières d’haïtiens sans masques, sans distanciation sociale et inconscients du très contagieux et dangereux coronavirus.
Ce sont ces fourmilières humaines qui ont peut-être inspiré, à la fin d’aout, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à désigner Haïti comme un modèle de bonne gestion de la COVID-19. De son côté, l’air satisfait, le Dr Jean William Pape, le tzar du coronavirus en Haïti, déclarait au Nouvelliste du 2 octobre que « le pays est dans une situation confortable par rapport au coronavirus. Les autorités n’ont recensé aucun cas pour la première fois le 26 septembre. »
Le taux peu élevé de mortalité dû au COVID-19, contrairement aux prévisions du Dr. Pape et de ses collègues chercheurs de Cornell et d’Oxford, est probablement lié à la jeunesse de la population haïtienne avec une moyenne d’âge de 24 ans, au décès préalable des malades avec des comorbidités et leur habitat bien ventilé.
Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, les haïtiens sont convaincus qu’ils ont vaincu le virus, grâce à leurs croyances, leurs plantes et leur médecine ancestrales. Toutefois, à l’instar de leur croyance syncrétique, l’haïtien joue continuellement sur deux tableaux. Il sent que le coronavirus est toujours à l’affut, surtout à la campagne où le paysan rusé et matois pratique à la lettre le vieil adage, « on ne sait jamais ».
En visite à la troisième section d’Aquin, Ti Jeudi est venu me saluer et naturellement profite de l’occasion pour avoir une deuxième opinion médicale gratuite par un spécialiste étranger. « Doc, ma maladie a commencé, il y a à peu près 3 à 4 mois, avec un « gonflement » et des douleurs au ventre accompagnées de « rapòsi », de vomissements et de diarrhées sanglantes qui se sont améliorés après avoir ingurgité des tisanes à base de pelure d’ail et de chadèque [pamplemousse], de feuilles de gwoten, de tiponpon et de hareng, quelques clous de girofles et des bois de tortue. Il poursuivait son propos « deux semaines plus tard en rentrant chez moi, j’ai « janbe » [enjambé], sans prêter attention, « une espedisyon » (un piège mystique) au milieu de ma barrière. Le soir même, j’ai eu un mal de tête épouvantable, une tousse sèche, la fièvre, la perte du gout et de l’odorat. Je suis allé « faire une visite » chez Celvius, le hougan du village qui, avoir « battu une carte et passé une leçon », me donna une concoction à base d’aloès, d’asosi, de sel marin, de manioc, de feuille trompette, et de pwa kongo pour être ingéré à jeun. Depuis lors, je n’ai que des gonflements et des rapòsi. »
J’ai décidé d’inviter Ti Jeudi chez moi pour une « consultation mystique et médicale ».
Après lui avoir mystiquement fait un « traitement » prophylactique pour avoir enjambé l’espedisyon, mon examen physique m’a orienté vers le diagnostic présomptif de parasitose intestinal, gastrite, possible infection précédente au COVID-19. Ce diagnostic présomptif a été plus tard confirmé par la présence d’amibes, Entamoeba histolytica, dans ses matières fécales et par une gastroscopie qui a révélé une gastrique chronique secondaire à la présence de Helicobacter pylori (H. pylori). Ces deux infections sont prévalentes dans les pays où les conditions sanitaires sont déficientes. Quant à la COVID-19, faute de disponibilité de tests, il me fut impossible d’établir le diagnostic précis.
Quatre jours plus tard, j’ai croisé Ti Jeudi au marché, un ample espace au grand air où tous commerçants confondus, paysans et citadins, vendaient tout un assortiment de marchandises allant de produits locaux – bananes, maniocs, pintades, etc., en passant par des herbes médicinales, des huiles pour voitures, pour arriver aux « pèpè » et au riz dans des sacs blancs avec l’inscription de l’USAID, don du peuple américain.
Ti Jeudi était de bonne humeur. Son traitement avec les molécules que j’avais prescrites, l’avait déjà soulagé. Il m’a cependant avoué car, « on ne sait jamais », il s’était aussi automédicamenté pour se « remembrer. » Il ingurgitait, chaque matin à jeun, une tasse de son urine et, avant de dormir, Il buvait un punch à base de rhum, d’aloès, de gingembre, d’ail, de poireau, d’échalotte, de feuilles de papaye et de miel. La pharmacopée haïtienne en pleine action ! Par exemple, l’extrait de l’ail, l’allicine, avec ses propriétés cardioprotectrices et hypolipémiantes, partage les mêmes mécanismes d’action avec les statines en inhibant la HMG-CoA réductase.
Depuis des millénaires, l’utilisation de médicaments à base de plantes, également connus sous le nom de phytochimie, est utilisée pour traiter les maladies. Les médicaments occidentaux conventionnels, tels que l’aspirine, la digitaline, la réserpine, la morphine, des antibiotiques et des anticancéreux viennent de produits naturels ainsi que l’antipaludique, artémisinine, et les statines qui inhibent l’activité de la 5-hydroxy-3-méthylglutaryl-coenzyme A (HMG CoA) réductase et réduisent efficacement l’hyperlipidémie. Au début des années 2000, près de 50% des médicaments utilisés en médecine conventionnelle étaient des produits naturels.
Aussi, Il faut bien tenir compte que, simultanément dans le corps, ces différents ingrédients – médicament/médicament, herbe/herbe, herbe/médicament, herbe/médicament/aliment, etc., – peuvent agir entre eux. Ces réactions peuvent être synergiques, c’est-à-dire augmenter leur efficacité ou antagonistes, c’est-à-dire, diminuer leur efficacité. Par exemple, le chadèque qui inhibe l’enzyme hépatique CYP3A4, interagit de façon synergique avec des médicaments comme les statines, les anxiolytiques, la méthadone ou les inhibiteurs calciques et peut élever les concentrations sanguines jusqu’à être potentiellement graves ou mortelles. A cause de cette interaction, le chadèque et ses dérivés sont interdis dans la plupart des centres de santé.
La principale différence entre nombreux médicaments conventionnels obtenus à partir des plantes et la phytothérapie réside dans l’évaluation de leur efficacité et de leur sécurité. Il est crucial qu’en Haïti, on identifie et isole les composants actifs des plantes médicinales, comme celles dans la concoction ingurgitée par Ti Jeudi et ensuite qu’on standardise leur concentration. Selon des rapports aux États-Unis, « la variabilité d’un lot à l’autre dans un cas particulier d’un composé contenant de l’éphédrine et de la méthyléphédrine, la concentration de ces substances variait de 180% et 1 000%, respectivement. » Chaque plante médicinale identifiée en Haïti doit avoir « son nom commun et scientifique, son utilisation historique et actuelle, sa pharmacologie, son utilisation thérapeutique, son efficacité fondée sur des preuves, ses effets indésirables et ses interactions médicamenteuses, sa toxicologie et son dosage. » Il s’agit d’un enjeu de santé publique tout à la fois dans le renforcement scientifique et dans sa diffusion auprès de la population.
Pour en revenir à Ti Jeudi, je lui ai dit qu’il ne fallait plus boire de l’urine, quoique la thérapie par l’urine a été utilisée des millénaires pour traiter toutes sortes de maladies. Il n’y a aucune preuve scientifique que boire de l’urine soit bénéfique. Au contraire, les recherches suggèrent que boire de l’urine peut introduire des bactéries, des toxines et d’autres substances nocives dans le sang.
Retournons à la gestion de la COVID-19. La ville de Jérémie, dans le département de la Grand’Anse d’Haïti, a été la championne dans la gestion du virus en Haïti. Pendant la periode de confinement, aucun élève de la région n’a été infecté. Toutefois, 41 jeunes filles de 15 à 18 ans dans un seul établissement scolaire, sont revenues enceintes à l’ouverture des classes. On comprend dès lors que la Santé Publique est un enjeu multifactoriel dont il ne faut omettre aucun aspect.
Aldy Castor, M.D., aldyc@att.net
President, Haitian Resource Development Foundation (HRDF)
Director, Emergency Medical Services for Haiti Medical Relief Mission, Association of Haitian Physicians Abroad.
Member, United Front Haitian Diaspora
Weston, Florida, USA
6 octobre 2020