LE RITE FUNÉRAIRE DANS LA PAYSANERIE,
UN BRASSAGE DE CULTURE SUR FOND
DE SOLIDARITE BIEN CHARPENTÉ.

Le rite mortuaire est un élément clé qui caractérise la culture et la vie des peuples et des communautés partout où ils sont établis à travers la planète.  Nous avons choisi d’en parler cette semaine  parce que justement, la parution du newsletter correspond à ces deux grands jours de l’année généralement admis comme étant le jour des morts et celui de la Toussaint .
A part que ce rite endosse des normes culturelles et sociétales, il est aussi imprégné de valeurs religieuses et ethniques qui rendent sa pratique différente d’une croyance à une autre et d’un espace géographique  à l’autre. Si certaines dénominations chrétiennes croient qu’il faut laisser les morts ensevelir les morts , que l’on meurt tous une seule fois, et que  vient ensuite le jugement dernier , d’autres par contre attachent une grande importance aux défunts et prient à chaque instant pour le repos de leur âme et leur admission en paradis. C’est ce dernier groupe qui est plus sensible à un certain jour des morts et à la toussaint. Dans toutes les régions du pays les églises catholiques, et peut- être aussi les églises Anglicanes, aujourd’hui et demain, organiseront des processions qui mènent vers les cimetières où l’on priera avec ferveur, des bougies allumées, et invoquera en quelque sorte, le souvenir de ceux qui ont précédé dans la mort. Dans le vodou de chez nous, les scènes sont un peu plus graphiques. On voit des gens qui sont chevauchés   par des esprits ou Loa qui leur confèrent une tonalite nasillarde dans la voix et leur permettent des exploits qu’ils n’auraient pas pu accomplir autrement. Par curiosité je suis rentré  au cimetière extérieur de Port-au-Prince un premier novembre où j’ai pu observer des gens manger du piment sans qu’ils n’en ressentent aucune douleur. On a aussi mentionné sur  WhatsApp des femmes qui se seraient lavé le vagin avec ces mêmes piments sans que la muqueuse  en soit affectée ou qu’elles n’en éprouvent le moindre signe de démangeaison vaginale. On dit cependant que l’esprit sait quelque fois les abandonner au beau milieu de la crise de possession et que, lorsque cela arrive, elles en ont pour leur compte, quitte à interpeller l’esprit à nouveau et à la faire revenir une autre fois pour édulcorer  l’effet douloureux des piments. ..
Mais quand est-il des démarches qui s’opèrent avant, durant et après le décès de quelqu’un ? Dans certaines sociétés, la personne doit être enterrée sitôt morte.Par principe, le soleil ne doit pas se coucher sur un  corps mort sans qu’il ne soit mis en terre.  Dans certaines croyances, on pratique une neuvaine de prière dont le but serait d’alléger l’âme du défunt et de faciliter son détachement définitif du corps. Un bouddhiste m’a dit que le processus de séparation du corps et de l’âme s’opère sur une période de quarante jours et que pendant cette période, ils sont proscrits de se raser la barbe ou de se couper les cheveux. Chez nous, le rituel est variable et se manifeste de diverses manières.il vient sous forme de   croyances à observer aussi bien que sous la forme d’entraide et de support dont peut bénéficier  la famille du défunt. Un tel événement donne à plus d’un l’opportunité de manifester sa solidarité ou d’exprimer ses sympathies à l’endroit de la famille éplorée.
Dans le monde paysan que j’ai exploré à la lumière de mes deux précédents articles, cette solidarité peut se manifester de diverses manières. Elle se voit par exemple lorsque tout le monde du quartier ou de l’habitation  s’assemble pour prêter main forte et contribuer aux funérailles du décédé. Souvent la mort est prématurée sinon inattendue. Sauf quelques rares cas, la famille n’avait aucune réserve pour affronter une telle adversité. Même lorsque la personne était malade depuis un certain temps, on gardait l’espoir de son rétablissement éventuel, et la mort était la dernière chose à la quelle on pensait devoir faire face. Parfois ce sont les dépenses pour des guérisons alternatives chez le hougan  qui ont fini par épuiser inutilement toutes les ressources déjà maigres de la famille.

En fait, le monde paysan a bien plus de confiance dans la médecine rurale ou médecine alternative que dans celle dite traditionnelle. Souvent on finit par tout dépenser, en dehors du circuit normal,   avant d’arriver chez le médecin ou à l’hôpital, les mains et les poches vides pour demander que « l’on fasse pour le patient quelque chose ».la médecine est une profession noble en Haïti mais elle n’est point rémunératoire. Peut-être que le paysan qui arrive chez le médecin n’est pas à même d’expliquer sa maladie. Et le courant ne passe pas toujours entre les deux. Donc il est mieux pour lui d’aller ailleurs chez quelqu’un qui puisse le comprendre et parler comme lui. Par la même veine, j’ai toujours fait un plaidoyer pour que les malades Haïtiens de la diaspora, surtout nos vieux parents qui ont un vocabulaire restreint, soient traités par nous autres médecins haïtiens pratiquant à l’extérieur, et qui comprenons leur jargon et parlons leur langage, mieux que toute autre personne. Car, une fois que le courant ne passe pas, le diagnostique sera raté, et le traitement aussi bien que le pronostic en souffriront grandement. Donc ce geste de solidarite envers la famille éplorée est toujours bien reçu.  Fermons maintenant cette parenthèse sur la communication médecin-patient pour revenir au sujet qui nous concerne. . Quant survient un décès, on est tous concernés dans la communauté, et tout est mis en branle pour apporter de l’aide et du soutien à la famille du disparu.
D’abord, il y’a des gens qui sont là pour dresser les tentes où la veillée doit se tenir ; il y en a d’autres, surtout les femmes qui sont chargées de préparer du thé et du café pour recevoir les visiteurs, et préparer  à manger pour ceux qui vont au cimetière ou en reviennent après les funérailles. A coté, si le cercueil n’était pas acheté d’avance, il y a un ébéniste qui travaille toute la nuit pour s’assurer que le cercueil est prêt au matin. Au moment de l’exposition à l’intérieur de la maison, il faut s’assurer que la tête du défunt ne soit pas tournée  vers l’intérieur de la maison mais regarde vers le dehors. Sinon il entrainera d’autres membres de la famille dans son sillage. De même quand un enfant meurt, les parents ne vont pas toujours accompagner le cadavre au cimetière par peur qu’ils ne ramènent du cimetière de la malchance pour les autres enfants qui sont encore en vie. Une jeune femme veuve ne conduira pas non plus son mari au cimetière, surtout si elle pense à refaire sa vie  pour que le ou les maris d’après, ne viennent à prendre le même chemin ou à connaitre le même sort que le premier.
Un homme a refusé  de fermer les yeux  encore ouverts de son frère  après la mort de celui-ci, par peur qu’il ne soit la dernière personne que le mort a vu  au moment de quitter la maison. « Luders partira les yeux ouverts s’il faut que ce soit moi,….., qui aille lui fermer les paupières ». Les gens croient dans le pouvoir des morts et dans leur habilité à attirer sur eux des châtiments . Ils déposent de la nourriture pour eux quelque part sous un arbre et leur jettent une partie de ce qu’ils mangent ou boivent pour qu’ils ne se sentent pas délaissés ou abandonnés par la famille..
Les funérailles ont souvent lieu tôt dans la matinée car il y a parfois des kilomètres à parcourir pour atteindre le cimetière et il vaut toujours mieux laisser la maison de bonne heure. Surtout si le cadavre doit passer à l’église et que le prêtre ou le pasteur officiant n’était pas prévenu à temps.
Quand on était un grand don dans la communauté, sa mort est comme une fête. En général tout était préparé à l’avance : Il y a un cercueil qui attend depuis plus d’une année quelque part dans un coin de la maison, et même plusieurs marmites de café et d’autres ingrédients dont gingembre, et cannelle  qui attendent d’être utilisés  à cette même fin. Mêmes les vêtements pour  habiller le défunt sont confectionnes à l’avance. Par contre, si la situation familiale n’était pas des plus enviables, et que les ressources sont maigres, on s’arrange pour des obsèques sans fanfare ni tambour. Souvent il y a un bien meuble ou immeuble à défaire pour  enterrer le défunt, ce qui appauvrit d’avantage la famille paysanne. Avant c’était un cochon créole ou un bœuf que l’on sacrifiait à l’appétit des riverains, et qu’ils  mangeaient au  soir de la veillée et au retour du cimetière. Il y avait aussi un autre animal qu’il fallait vendre rapidement et obtenir l’argent nécessaire pour les funérailles. L’élevage a bien disparu ou est devenu une affaire de  luxe dans la paysannerie, les cochons créoles ayant été éradiqués sous le faux prétexte d’une certaine fièvre porcine Africaine, et les paysans sont coupés de cette commodité qui était en quelque sorte la banque du paysan. En marchant sur les routes vicinales du plateau central, autrefois bastion de l’élevage, de la poulaillerie et des volailles en général, on ne trouve plus ces hordes d’animaux étalées sur de longues distances à  travers la savane et qui faisaient peur de traverser le chemin aux enfants que nous étions.. Maintenant on vend de plus en plus les quelques centièmes de terre restant de la propriété familiale à un autre paysan ou à un nomade local qui voudrait être plus près  de la route, jusqu’à ce que ce qui reste de la propriété familiale  ne soit plus capable de nourrir ses occupants. D’autres fois, c’est à un notable du village que l’on apporte aussi la pièce de la propriété contre une certaine somme qui n’est jamais repayée, ce qui confère automatiquement au préteur un certain droit de possession sur la propriété en question.

Une veillée à la campagne  est quelque chose qui revêtait autrefois un cachet tout particulier. Les gens commençaient à chanter très tôt dans la soirée, quand intervenait soudain un prêtre-savane qui assurait un bref sermon avant que le rituel ne s’enchainât. On crie, on pleure, on rit et on blague toute la nuit. Certains jouent au domino et à d’autres jeux de carte pour s’assurer que la famille ne soit pas seule avec le cadavre dans la maison.. La veillée est tout de suite suivie de la levée du cadavre qui  est un moment particulièrement chargé d’émotion pour la famille. Car il faut appeler les proches pour un dernier regard avant la fermeture du cercueil et le déplacement du corps vers le cimetière.

En allant vers le cimetière, on danse sur la route, on dépose le cadavre par terre on chante tout en rond et on fait des pas en avant et en arrière avec le cercueil sur la terre, comme pour rappeler la joie que l’on éprouve à aider un proche dans sa traversée vers l’au-delà. Autre fois le tafia et le thé  suffisaient pour la veillée  en ville comme en campagne, mais les gens de ville demandent de plus en plus que leur soient servis  des bierres  prestiges et du rhum barbancourt au cours de la veillée. Les gens qui habitent en ville amènent  leurs morts directement à la morgue et évitent de plus en plus de garder le défunt à la maison. Il  y a eu tellement de gens à mourir dans ce pays, gens de tous âges, dont le décès aurait nécessité une autopsie, que même les coins les plus reculés ont aujourd’hui une morgue où préserver les corps. En dehors de cela, il fallait enterrer la personne le plus vite que possible, dans les 24 heures d’après sa mort, en absence des parents et alliés qui n’,avaient aucune chance de faire un dernier adieu. Sinon le corps tomberait en putrefaction. Les funérailles sont de plus en plus couteuses.Et plus le temps passe, plus ça coute cher. Et les vrais gagnants dans tout cela, ce sont les propriétaires de pompes funèbres accusés à tort ou à raison d’achever de tuer vos parents s’ils présentent le moindre signe de vie durant leur séjour à la morgue, et qui vous présentent leurs condoléances d’une main tout en tendant l’autre main  pour accepter votre argent. Les pleureuses sont aussi là pour animer au cas ou vous auriez besoin d’elles pour vous soulager dans vos pleurnichements.

Rony Jean-Mary, M.D.
Coral springs , Florida,
le 1er Novembre 2020


Return to homepage