TRAVERSEE  PERILLEUSE !!!!
LA TRAGI-COMEDIE DE LÉONIE.

Je revenais  de l’école du village quand soudain, un cri strident attire mon attention. woy !woy ! woy ! potem  sekou !!.Ce ne sont pas de ces pleurnicheries à la bourgeoise.qui cachent  toute l’émotion dans des mouchoirs mouillés de larmes. C’est un cri si fort que le voisinage est troublé dans son silence et  fait  accourir de toutes parts pour savoir de quoi il en est.

Sur la cour, derrière la maison principale ayant pignon sur rue, il y a un vaste champs libre que serpentent plusieurs  maisonnettes  à façades  lézardées  et aux portes à moitié  suffisantes, dont  les  toits  couverts de taches  de palmiste et de tôles rouillées  protègent  à  peine contre le soleil brulant qui surplombe et embrase  toute la zone dont le  fond de ces  maisonnettes ainsi que  la vaste cour .Le manque  d’urbanisme est archicomble. Par endroits, des draps racolés de par et d’autre, comme des rideaux sur une scène théâtrale,  accorde un peu de dignité aux habitants de la cour….On  imagine déjà le sort de ces malheureux habitants quand vient la saison pluvieuse et qu’ils sont surpris par une forte averse, ces soirs où l’orage gronde et trône en maitre et seigneur.

Je ne connais  personne sur la vaste cour mais je suis trop curieux pour laisser passer une telle occasion de m’informer de ce qui se passe  derrière ces murs. Je suis curieux de nature et j’adore  m’informer pour mieux comprendre ce qui se passe autour de moi.

Je cours rapidement vers la rentrée gauche  de la maison, par la barrière vétuste, un peu délabrée qui protège la grande cour. La barrière est poreuse et pivote à peine sur son axe tremblant .La tôle est antique et couvre les quelques morceaux de bois qui en forment l’ossature.  Cette vieille barrière, elle même a du se  demander qu’est ce qu’elle fait là ?,  puisque personne n’a jamais eu soin de la fermer ni  de l’ouvrir, et qu’elle reste là, béante  toutes les heures  du jour ou de la nuit.  Déjà  tout un monde y est rassemblé … La  nouvelle vient de tomber comme  un coup de massue et la zone est en mode panique. ; Le bateau a chaviré  en pleine mer l’autre nuit et Léonie, l’intrépide Léonie , était bien dans la cargaison. Elle était la fille qui charriait tous les espoirs  d’une mère veuve de plusieurs décennies qui dut élever toute seule Léonie et ses deux frères. Léonie faisait le petit commerce de marinade et d’acras pour aider maman à grandir ses jeunes frères. Mais  on a tellement acheté à crédit sans honorer sa dette que finalement le commerce s’est éteint. Tout ce qui restait à faire à la tendre  Léonie fut de tenter un voyage vers la terre étoilée ou vers les Bahamas, peu importait où le vent l’emmènerait. On surveillait le beau temps, un soir de clair de lune, pour entreprendre l’excursion. Tout le monde savait  que la frêle embarcation devait lever l’ancre, et quitter en pleine nuit, mais  personne ne pipait mot. Certains surveillaient le jour du départ  mais feignaient tous  de ne rien savoir attendant le tout dernier moment  pour se jeter dans l’embarcation. Comme Leonardo di Caprio qui arrive  à la dernière minute dans le Titanic en partance pour l’Amérique. Dans ces voyages clandestins vers ces rives inconnues il faut trouver un moyen de tromper la vigilance de ces « chouket la rosée » qui pullulent la cote, à  la requête des chefs locaux,  pour bloquer ces départs subtiles et périlleux. Parfois ces chefs arrivent un bâton à la main pour toute arme utile, et ne peuvent rien pour empêcher le départ, sinon que de prendre place eux aussi a bord. Le mal est toujours une aubaine pour nos chefs. Ou bien ils y participent sans mot dire ou bien encore, ils accaparent le butin pour eux-mêmes en faisant table rase de leur environnement immédiat. Gare à celui qui osera les dénoncer !!!. Parmi les visiteurs soudainement attroupés  sur la cour, Certains ont déjà tenté  leur chance et ont été remorqués  par les gardes cotes en pleine mer avant d’être refoulés par l’immigration du pays hôte. Depuis le président Reagan, les Américains patrouillent notre espace maritime comme  ils veulent, sans égard  pour les conventions maritimes  et les lois internationales.. D’autres pourtant étaient à leur première tentative  de voyage et jurent qu’ils essayeront à nouveau. .Beaucoup y ont quitté  leur vie et ne sont jamais revenus. Mais on ne se soucie plus des dangers de la mer. Ce qui importe c’est de tromper la vigilance des autorités d’ici et de  se bien  mettre  à couvert jusqu’à  destination finale. C’est tout le monde qui veut partir et fuir la jungle nationale.. Parmi ceux qui  parviennent jusqu’au bout du voyage, certains disaient qu’il n’y avait  ni voiture ni d’électricité au pays  d’où ils venaient. Je les critiquais autrefois  pour avoir  osé  une telle parjure contre leur pays..Mais  à regarder de plus près, ils ont peut-être  raison. Car ils n’’ont jamais quitté le village de leur enfance. Même la capitale qu’ils ont  visitée ou pas, est un vaste champs de ténèbres sauf pour ceux-là qui  peuvent se payer le luxe de produire leur électricité à domicile..Beaucoup ont dit préférer mourir en mer et être mangés  par les requins plutôt  que de continuer de vivre cette horrible mésaventure qui reste  leur lot de tous les jours.

Le saisissement qui est un terme local pour exprimer le choc émotionnel  est à son paroxysme dans cette cour…Partout dans la petite localité  où se recrutent la plus part des disparus, c’est de la consternation… »Se le di fe pran nan rue Saint Martin  pouw  Connen combien kokobe  rue macajoux te gin yin » La mère de Léonie voit en un jour s’écrouler tristement le rêve de sa vie. Les enfants haïtiens sont d’une fabrique spéciale et sont pleins d’amour filial .il savent que les banques locales ne sont jamais ouvertes aux petites bourses et qu’ils ont une dette envers chaque parent qui a pris sur lui de les grandir et de les nourrir. Pour les visiteurs assis sur les quelques bancs que l’école communale octroie en prêt dans  de pareilles circonstances, c’était  comme on dit dans notre vernaculaire: ‘’ Chèche la vie ak détruit la vie’’,.Et  beaucoup disaient ou ajoutaient que  .’’ Pito nou lede min nou te la’’.  On fait boire à maman  quelques gorgées de café noir amer non sucré , coulé  sur des feuilles de  cachimen et de thym, et on lui ceint la tète d’une serviette remplie de cette même marre de café  dans l’espoir que cela  arrêtera les effets du choc émotionnel qu’elle vient de subir. Les deux frères, eux plu jeunes, attendaient la bonne nouvelle de la traversée avant de s’aventurer eux aussi dans ce voyage périlleux certes, mais avantageux au bout du compte.. Ils savaient que leur sœur ne les trahirait jamais et qu’elle travaillerait d’arrache-pied pour les faire chercher une fois qu’elle arriverait là-bas.  Ils  sont comme dans un rêve matinal effrayant, une sorte de cauchemar que l’on cherche à défaire en se remettant à dormir. Ils voudraient croire que la nouvelle était fausse. Au fond ils savent qu’elle est réelle. Mais cela ne les  dissuadera pas  de ne pas  partir à leur tour..Beaucoup, en revenant, apportaient des indices certaines de civilisation telles des montres, des radio puissantes  et des vêtements, ce qui rendait encore plus jaloux ceux-là qui étaient restés derrière et qui n’avaient pas encore fait le voyage..Parmi ceux qui avaient déjà fait un aller et retour fructueux, on parla de ces routes spacieuses, de l’électricité 24 h sur 24 qui fait marcher presque, et surtout de ces gratte-ciels que ne pouvaient s’imaginer des gens qui ne voient pas plus haut  que les mornes d’à coté qui surplombent le village..D’autres, plus blagueurs, racontent  des prouesses énormes vécues en pleine mer, et parlent  de symbie, cette femme à queue de poisson dont ils avaient fait la rencontre pendant le voyage , et qui les accompagnait jusqu’à destination avant de disparaitre soudainement..Ils  se disaient être des protégés des dieux et déesses de  la mer et que s’ils étaient  à bord, rien n’allait pouvoir arriver au bateau. J’écoutais avec passion  toute cette histoire de mythologie Haïtienne, ne sachant s’il fallait  y croire ou non. Dans  cette même  cour, sur  une natte en jonc ou en tresse de banane, jouent les enfants en bas âge que Léonie avait confiés  à ses parents au moment du départ. Ils jouent inconsciemment dans la poussière sans comprendre ce qui venait de se passer. Maman raconte comment ’elle a eu un rêve étrange  le soir du départ de sa fille .Elle se retournait dans son lit sans pouvoir dormir  toute la nuit, et pensait  que quelque chose  de grave était en train de se passer .Elle sentait aussi que ses intestins et ses entrailles se déchiraient et se remuaient constamment. C’est le sentiment de certaines mères angoissées  au moment de perdre un enfant .il y a comme une extension invisible du cordon ombilical qui relie chaque enfant à sa mère, qui lui signale quand cela ne va pas ou quand son enfant est en danger, si loin que l’enfant puisse se retrouver. Le plus dur pour Maman est de ne pas pouvoir faire le deuil de Léonie et de  l’enterrer convenablement, puisque l’incident a lieu en mer et les corps  ont du rouler sur de longues étendues..Peut être qu’un bateau  marchant en repêchera quelques uns mais la mer à coup sur sera leur unique et ultime sépulture. La mer  vomira un jour les corps qu’elle a engloutis, nous dit la bible, mais  comment seront ces corps et qui sera là pour les identifier ? Même sans  le corps du lit, on considérera  Léonie comme étant morte, et on décidera de monter une neuvaine de prière pour remettre à Dieu l’âme de la défunte, et continuer de vivre des souvenirs qu’elle a légués à sa famille…On en était à la septième soirée quand  une contre- nouvelle arriva et informe à tous que le voyage était fructueux  mais que Léonie est aux bord de la déportation.             la neuvaine aussitôt s’arrêta .Maintenant il fallait trouver un hou gan pour bloquer la déportation et empêcher le retour de Léonie. On n’était pas parti pour son bon vouloir. Mais c’est la vie difficile qui a forcé   Leonie et tant d’autres à prendre le chemin de la mer.On n’aura pas tout a fait gagné cette main de carte ,mais mieux vaut  la prison là-bas que l’oisiveté au quotidien qui casse l’essor des jeunes et les pousse a sombrer dans le désespoir…On priera fort et on implorera tous les saints du ciel pour un dénouement heureux et permanent..

Rony Jean-Mary, M.D.
Coral springs , Florida,
le 14 décembre 2020

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