Haïti : la descente aux enfers se poursuit:

A chaque  fois que l’on croyait que notre cher pays, Haïti, avait  déjà atteint le point le plus bas de son existence de nation, et qu’elle ne pouvait, désormais, que commencer à remonter la pente et à renaitre de ses cendres, on réalise malheureusement qu’elle  avait des profondeurs  encore plus  nébuleuses  à atteindre, et que le renouveau espéré n’était pas pour demain.

On s’enfonce chaque jour,  un peu plus dans l’abime. Comme pour dire : «abissus, abissum  invocat » Le dernier clou appliqué au cercueil de la nation est la débâcle que vient de connaitre la police nationale, unique force légale du pays, lors de son intervention au Village de Dieu. Elle s’est tristement  inclinée par devant les bandits du village, abandonnant  sans coup férir, Chars et  cadavres de policiers tombés dans l’exercice  de leurs devoirs. Ces policiers attendent encore, dans leur sommeil de morts  et dans leur chair mutilée, le renfort tant réclamé…Et personne du haut commandement  de la police nationale, n’a encore dit pourquoi les renforts attendus n’étaient jamais  arrivés.

Dire Village de Dieu, c’est  parler d’un petit périmètre de quelques centaines de maisons dont on  aurait pu boucler  les sorties et assiéger toute la Zone. Pourtant, c’est devenu le Waterloo de la police Nationale d’Haïti. Et de nous demander de bon droit, qu’est ce que l’Etat contrôle vraiment  en termes de territoire de ce pays  s’il se révèle impuissant à gérer un périmètre aussi restreint que le village de Dieu ?

Les leçons tirées de cette débâcle sont énormes de conséquences.  D’abord les  policiers ont compris qu’il n’y a aucun salut pour eux à venir de l’institution  policière qui les coiffe, et qu’ils doivent eux-mêmes s’organiser pour monter leur propre défense. Ils n’ont plus confiance dans leurs chefs hiérarchiques qui les ont lâchement abandonnés au moment où ils avaient le plus besoin de leur support..Ils manifestent de temps à autres leur anxiété face à une institution  dont les contradictions internes sont désormais visibles  au grand jour  et sont entrain  de saper les bases vermoulues de l’institution.

La population a, elle aussi, perdu les dernières lueurs de confiance qu’elle pouvait encore avoir dans ce régime dont elle se demande comment il va pouvoir les défendre et les protéger s’il est incapable de se protéger lui-même face aux bandits..Cette semaine,la peur et l’angoisse sont montées de plusieurs crans au baromètre des tensions sociales, et la population partout est aux abois. Personne ne sait qui va être la prochaine cible de ce kidnapping  ahurissant  qui continue d’appauvrir  ce qui restait encore  de la classe moyenne du pays. Les enfants sont de plus en plus contraints de rester à la maison faute de pouvoir aller à l’école  pour acquérir le pain de l’instruction. On vit un jour à la fois, sans être capable de  faire des  projets  d’envergure ou à long terme.

Une femme qui a été relâchée pour aller chercher la rançon, après qu’ils  avaient été kidnappés, elle et son mari, s’entendra dire tout simplement par les ravisseurs  que l’argent apporté, était nettement insuffisant pour sa  libération et celle de son mari. Elle fut violée plusieurs fois de suite  par des bandits sous stupéfiants, et laissée pour morte sur la piste de l’ancienne aviation de Port-au-Prince. Son mari fut retenu malgré le versement des trois quart de la somme requise. Son cadavre  fut retrouvé quelque temps plus tard et attend encore aujourd’hui  dans une morgue de la capitale pour le repos final de son âme. Le couple vivait à l’étranger  et  était rentré uniquement au pays  pour organiser les funérailles de la mère du mari.

Nous étions depuis quelques années un pays que les touristes étrangers ne fréquentaient plus. Il n’y avait que les rares patriotes qui défilaient vers Haïti à des moments précis de l’année dont le carnaval, les fêtes champêtres et les fins d’année pour apporter quelques dollars  et  un nouveau souffle au pays. Maintenant qu’ils ont peur de venir chez eux, d’être kidnappés, rançonnés et tués, à quel tableau sombre et funeste  le pays va –t-il devoir désormais  faire face ?

On n’aurait jamais cru que le pays qui nous a tous bercés serait devenu un jour, un tel enfer pour ses enfants. Jamais au grand jamais. Dire que nous vivrions de telles monstruosités  et que nos dirigeants pourraient être d’une telle incompétence est une chose difficile à admettre.  Nous nous imaginons difficilement aussi que des Haïtiens, toutes tendances confondues, auraient été capables  de faire tant de mal à leur pays.  Pourtant ils sont en train de détruire tout ce qu’il restait de rêves et d’illusions pour les durs à cuire  comme moi-même qui n’avaient jamais rien négocié de leur patriotisme et qui rêvaient toujours d’un lendemain meilleur pour Haïti.

Mes collègues de partout, de vrais patriotes pour la plupart, expriment de plus en plus leur indignation et leur frustration face à une crise qui n’a que trop duré. A travers les actes barbares perpétrés sur de simples citoyens, livrés à eux-mêmes sans secours ni recours,  c’est l’âme Haïtienne qui s’enlise. C’est la fierté d’être Haïtien  qui se dilue dans les basses manœuvres, les combines louches et les intérêts mesquins d’un petit groupe qui cherche l’argent et le pouvoir à tout prix..

Le cauchemar est bien réel et sa fin n’est pas pour demain. Parfois  en nous réveillant d’un cauchemar au milieu de la nuit, ou d’un rêve terrifiant, on a tendance à presser sur les paupières, à forcer le sommeil à l’envers  cherchant ainsi à renverser le cauchemar. Dans le cas qui nous préoccupe, nous rêvons encore les yeux ouverts , espérant à un dénouement bien plus heureux. Riches ou pauvres, éduqués ou non, politiciens, religieux ou autres, il est temps de comprendre que l’on ne peut aller plus loin dans la déconfiture  et la gangrène qui empoisonnent le tissu social Haïtien.

Etrangers de tous bords, vous qui avez toujours  soutenu un camp ou l’autre, attisant ainsi la méfiance entre nos frères, jusques à quand persisterez vous dans vos œuvres destructives envers Haïti ?Vous avez essayé les mêmes méthodes à chaque fois pour revenir toujours à la case de départ. Cessez de faire le jeu des intérêts partisans ; Encouragez plutôt un dialogue franc  entre les Haïtiens  qui reconnaitraient le bien-fondé des arguments venus  d’en face, cherchant ainsi dans l’adversaire ce qui est bon à  émuler. Ainsi ils cesseront de s’entredéchirer. Le pays se meurt sous nos laideurs et n’en peut plus de nos caprices et de nos hasitations.Nous avons tous besoin de stopper  cette balkanisation du pays que nous ont légué nos ancêtres. Sinon, c’est l’implosion et l’auto destruction. Car si le pays continue de descendre à ce rythme vertigineux,dans  moins de dix ans , il n’y aura plus de pays pour nos enfants.

Rony Jean-Mary,M.D.
CoralSprings ,Florida,
le 28 Mars 2021.

 

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