Stress et Trauma émotionnel dans le cadre de la problématique sociale Haïtienne actuelle..
Chaque fois qu’un événement majeur, d’allure cataclysmique affecte une communauté en partie, ou dans son ensemble, il y a toujours des répercussions à long terme, sur le mode de vie des habitants .Dans un cas comme dans l’autre, il y a souvent des déplacements inattendus, des séparations brutales, des morts en grand nombre, soit à l’occasion de guerres, d’ incendies ,de déluge ou de tremblement de terre avec comme corolaire un changement radical dans le genre de vie des habitants et un héritage émotionnel lourd de conséquences que les survivants devront apprendre à gérer dans la suite. Il y a toujours, après le choc initial, la paralysie mentale, l’état de confusion généralisée qui doivent être attentionnés dans la perspective d’une prise en charge adéquate des victimes.
Il faut tout d’abord admettre que certaines personnes ont une prédisposition naturelle à se soucier davantage de choses qui se passent autour d’elles, voire de choses dont elles ne devraient se faire aucun souci. .Ces gens ont des difficultés à Controller leurs émotions, et tendent à basculer sous le choc du moindre incident. C’est le cas de quelqu’un qui est stressé en permanence ou qui souffre du syndrome communément appelé : l’état de stress généralisé.
En général, lorsqu’un individu se trouve en proie à une situation de crise, il peut développer diverses réactions face à la crise, dépendamment de l’intensité de cette dernière, de sa durée, et des conditions dans lesquelles cette crise se produit. Lorsque ces crises ou trauma sont si graves qu’ils auraient pu causer la mort de l’individu ou que la survie d’un tel individu n’a eu lieu que par un simple fait du hasard, indépendamment de la victime elle-même, on parle alors de trauma émotionnel. Dans ce cas-là, les réactions sont classées en deux catégories :L’état de stress aigu et le Post Traumatic stress disorder.
QUID DU STRESS AIGU ET DU POST TRAUMATIC STRESS DISORDER ?
A) Le stress est aigu lorsqu’il dure jusqu’à trente jours.et se manifeste par les signes et symptômes suivants :Sensation de tension au niveau des muscles, agitation, irritabilité, insomnie, manque ou absence de concentration, fatigue etc..Si ces sensations disparaissent au bout d’un mois et la personne redevient normale, la phase de stress aigu est considérée comme résolue.
Cependant les symptômes peuvent durer plus d’un mois et la connotation change aussitôt en Post Traumatic Stress Disorder..
B) Le post traumatique stress disorder peut être considéré comme une extension du syndrome de stress aigu, tel que défini plus haut. Mais il se présente avec des signes bien particuliers. Le viol, les agressions physiques, le kidnapping et les tortures sont après les désastres naturels, des causes très fréquentes de trauma émotionne.
Au nombre de signes plus fréquemment énoncés, il y a le flashback, c’est-a dire que l’individu continue de revivre de temps à autre dans son imaginaire la situation d’extrême difficulté dans la quelle il se trouvait. La personne peut aussi éprouver une sensation de dépersonnalisation qui la porte à se demander où est ce qu’elle est en ce moment précis, et à perdre complètement la mémoire de l’événement passé. Un autre trait caractéristique du post traumatique disorder est l’hyper vigilance face à tout ce qui ramène ou ressemble de près ou de loin à l’événement enduré .La victime cherche à éviter ces ressemblances par tous les moyens .L’individu qui a été capturé et placé dans un véhicule de couleur blanche sentira vibrer toutes les fibres de son être à l’approche d’un vehicule de la même couleur et de la même ressemblance. En général, la nature et le type de trauma subis par un homme sont différents de ceux que subit une femme.la prévalence de la condition dans la communauté est de 8-9%.avec une plus grande prévalence chez les femmes de 10-14% et de 5-6% chez les hommes. Certaines conditions particulières sont susceptibles de conduire au ‘’ Post traumatique stress disorder’’. Ces incidences sont reportées différemment, selon que la victime est un homme ou une femme. Chez les hommes, les causes les plus fréquentes de trauma sont les agressions physiques, les menaces avec une arme à feu, les combats militaires, le kidnapping, et être témoin d’un meurtre quelconque. Les femmes reportent surtout des cas de viol, de molestation sexuelle, et d’abus physique. Il ne semble pas y avoir de différence démographique en ce qui attrait au niveau économique , au degré d’éducation, et à l’ethnicité, Cependant , le groupe d’âge entre 20 et quarante ans est le plus susceptible d’être victime de trauma physique.il faut dire que dans les cas de trauma,,l’évolution vers le Post traumatique stress disorder est l’exception au lieu d’en être la règle. Le taux de rémission à six mois est de 25% et 40% après une année. Le temps médian de rémission chez les individus non traites est de 64 mois, Par contre, il est de 36 mois pour les individus en traitement. Douze ans après la fin des combats au Vietnam, des soldates continuèrent de présenter des signes de trauma émotionnel. Avec ou sans traitement, un nombre aussi élevé de 30% ne se remettront jamais de leur condition. Il faut dire en passant que le Post traumatique stress disorder est l’une des rares maladies mentales à être contagieuses, puis que l’individu qui observe à distance le déroulement du désastre ,devant l’écran de son appareil de télévision , peut être plus gravement affecté que les victimes elles- mêmes puisque ne se sachant pas concerné, et ne jugeant pas nécessaire d’obtenir de l’aide psychologique.
Le phénomène du kidnapping tel que vécu en Haïti et dans la diaspora à un degré moindre bien entendu, semble avoir cette fois –ci, un impact bien plus grand sur les gens.
En Haïti, et surtout à Port-au-Prince, les gens ne sortent de leur maison que pour des besoins essentiels. Et quand ils sont ailleurs dans les rues, vaquant à leurs activités, ils reçoivent d’interminables appels de membres de leur famille s’informant de leur état sécuritaire et cherchant à savoir quand ils vont entrer à la maison. Ceux qui font des transferts sur Haïti pour des membres de leur famille ne le font plus en toute tranquillité.
Car ils savent que la possibilité existe que l’un des leurs soit kidnappé à la sortie d’une maison de transfert ou en rentrant à la maison. Ceux qui sont au volant de leur voiture, surveillent à tout moment les autres conducteurs, scrutent l’environnement pour voir qui est derrière ou à coté d’eux. Les parents ont peur d’envoyer leurs enfants à l’école et les enfants eux aussi, sont stressés du fait qu’ils ne peuvent sortir de chez eux ,et doivent rester à la maison tout le temps. Ceux qui vivent en Haïti ou en dehors du pays, interdisent carrément aux membres de leur famille vivant à l’étranger de rentrer au pays tellement la situation est incertaine.
Il a toujours été rapporté que le peuple Haïtien est un peuple résilient, capable de survivre aux traumas les plus poignants, et de trouver une issue aux difficultés les plus insurmontables. Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 en avait donne une preuve palpable..Malgré le choc auquel le peuple était en proie, on avait vu les gens se battre, les mains vides, cherchant à retirer des débris le moindre corps qu’ils pouvaient soupçonner d’être encore en vie.
S’il est vrai que Le peuple s’adapte à presque toutes les situations, il n’en reste pas moins vrai que sa résilience a fait de lui un peuple de résignés et de martyrs, capables d’accepter n’importe quoi de n’importe qui. Autant dire que résilience peut être une chose bonne et mauvaise à la fois. Car en encaissant tant de coups sans le moindre signe de résistance ou la moindre réaction de fatigue, on finit par développer une sorte de paralysie mentale et par sombrer dans le défaitisme. Le défaitisme, c’est accepter que quoi que l’on fasse, on le fait pour rien, et que l’on est condamné à vivre et à mourir de la manière que l’on en est à présent. Il est prouvé que lorsque des rats sont placés dans une attrape d’où ils ne peuvent s’échapper, ils finissent par accepter leur sort et par ne plus se battre pour se retirer de la situation. C’est ce qu’on appelle « Learned helplessness ».
Dans une étude effectuée par Fullilove sur les victimes de désastres et de trauma, il observa que ces dernières tendent à devenir dociles à accepter n’importe quoi, tellement ils sont confus et incapables de raisonner sciemment. le peuple Haïtien a tellement lutté en vue de pouvoir jouir d’une meilleure condition de vie, qu’il semble en être au bout de ses efforts. Il est oppressé et traumatisé par des forces de tous bords. Il ne sait plus à quel Saint se vouer. On est tous dans un labyrinthe dont les ouvertures sont bouchées de tous cotés. On a beau pleurer et les autorités se bouchent les oreilles car tout ce qu’elles veulent ,c’est de nous garder apeurés ,terrifiés puisqu’elles savent que le réveil après la léthargie est souvent féroce et brutale. Entre temps nos vies se consument dans le feu des armes.Et il faudra des années et des années encore pour nous guérir de ce trauma, retrouver notre dignité de peuple et finir par croire que l’on n’est plus des gibiers de potence pour ces malfrats qui nous prennent en otage.
Rony Jean-Mary,M.D.
CoralSprings ,Florida,
le 19 avril 2021.