Qui est le coupable ?

Le début de soirée fut agréable. Dès une heure de temps plutôt, une foule de convives commença à arriver pour participer à l’évènement social de cette fin de printemps, près de Carmel en Californie. Le murmure de la menue conversation des invités rythma avec le clapotis des vagues de l’Océan Pacifique. Le sujet d’entretien entre les hôtes varia. Il passa entre les commentaires sur  la beauté de ce site pittoresque, au bord de l’autoroute Pacific Coast Highway côtoyant une eau émeraude dans un sillon sinueux, le teint ocre des maisons, un air léger, pur.  Le tout avait été immortalisé par Erroll Garner qui l’avait choisi plusieurs décennies auparavant comme le lieu d’un concert de piano et cet enregistrement depuis lors reste parmi les sommités du genre musical. Le sujet alla sur le dispositif mis en place pour cette célébration et naturellement sur la calamité latente, l’effet de serre menaçant notre harmonie avec la nature. Tout se passa bien et même trop bien.

Peu de temps après, un  silence mortuaire plana sur l’assistance. Le bruit d’une abeille en plein vol serait un vacarme. Le temps s’arrêta, les participants à cette cérémonie supposée être une célébration si grandiose eurent le visage morne ou déçu, interrogateur ou inquiet, effrayé ou soumis. Il n’y eut point de sourire. Dès huit heures du soir, l’absence de Theresa, connue pour sa ponctualité s’avéra comme une ombre de mauvais augure. D’habitude elle ferait une entrée en grande pompe, parée comme une mannequin, abreuvant l’adulation de l’assemblée, la dame mondaine avec le goût impeccable et le bagout désarmant. Elle raffolait le rôle d’hôtesse.

Cinq minutes après l’heure, on annonça qu’elle serait en retard. L’atmosphère se détendit et la cène reprit cours.  Pour Henri Daniel (HD), une notion bizarre sauta aux yeux : le retard restait sur la liste de bêtes noires de Theresa. HD qui la connaissait bien eut un certain malaise. Il ne comprit pas la situation. Theresa en retard rime comme Theresa mal bottée, deux descriptions qui n’existent pas dans le lexique. Il fit le déplacement spécialement pour elle, ayant atterri quelques heures avant le début de la célébration. Pour la combler, il lui donnerait un beau collier de perles qu’il avait acheté en Asie pendant un voyage en guise de présent d’anniversaire.

« J’insiste sur ta présence à ma célébration et je n’accepterai pas non comme une réponse ».

Ce fut l’invitation personnelle que HD reçut de Theresa quelques semaines plutôt par texto. HD et Theresa avaient un long passé datant de son temps à l’université dans la Nouvelle Angleterre au nord-est des États-Unis. Deux métis qui se taquinaient tout le temps pour la détention de plus de boue. Le mot boue reflète le mélange d’héritages ethniques.

« Dans ma famille il y a du sang amérindien, européen du nord, sicilien, africain et indonésien. Quand on parle de race, je me décris comme une membre fière de la race humaine, une métisse hors pair, une daltonienne réelle et non une prétendue ».

« Tandis que moi, j’ai du sang jamaïcain, irlandais, anglais, écossais, africain. Je partage les goûts raffinés de l’élite et je déguste avec engouement les mets exquis de la basse classe. Donc je chevauche les deux extrêmes des classes sociales, je comprends les tendances culturelles et vois les êtres humains avec leurs forts et failles similaires indépendamment de leurs groupes ethniques ».

Ils partageaient la même perspective et le même ethos mais surtout la philosophie de l’hédonisme. Ils se satisfaisaient sexuellement pendant des heures durant. Par la suite, ils se référaient à  cette époque comme le temps de la Bohème et de l’expérimentation charnelle. Theresa se donnait le titre de la reine de la fellation ; HD en revanche maîtrisait l’art du cunnilingus  sur son clitoris humide.

« Tu me rends humide et je te donne une érection. Inventons ce code secret entre nous : désormais la contraction d’humide et d’érection sera humection. Ce sera notre façon de communication. L’humection en action veut dire que je suis en chaleur ».

Elle se déplaça de la côte Est pour aller vivre dans la côte Ouest en travaillant dans l’informatique à Silicon Valley. Elle excellait dans la  sécurité de réseau et l’encryptage. Leur amitié perdura malgré la distance. De temps à autre, son horaire le permettant, HD faisait la navette transcontinentale pour assister à une fête de son amie ou une simple visite. Elle ferait un détour à Washington, DC,  pour visiter HD quand elle visitait ses parents et amis au nord-est ou simplement pour une visite de quelques jours. Leur relation demeurait un mélange de caprice et d’attraction inébranlable : trop indépendants comme individus pour rester ensemble et s’aimant trop pour se passer l’un de l’autre pendant trop longtemps. La chimie entre les deux s’alimentait de leur matière grise et de leur insatiable soif charnelle.

Cette fête pour son trentième anniversaire fut organisée avec le tralala d’une vraie nouba, car dans son esprit cosmopolite, elle voulut réunir les nations unies, un arc-en-ciel de teints épidermiques, pour offrir le cénacle d’une humanité saine, et mettre en exergue le concept de kumbaya. Une tente d’une capacité de 100 personnes, un combo incluant un  Trinidadien jouant le steel drum, un Allemand en doigté sur l’accordéon, un virtuose Brésilien  au berimbau, un Cap Verdien grattant le cavaquinho et un autre soufflant la clarinette  et enfin un Cubain amadouant un violon. Le menu refléta une variété de mets internationaux. L’atmosphère festive battait son plein quand soudainement quelqu’un se mit debout devant un micro avec une expression grave, une voix cassée, un discours haletant, pour énoncer cette phrase fastidieuse :

« L’hôtesse ne sera pas avec nous ce soir, on ne peut pas la repérer ». Cette phrase laconique provoqua un autre silence, mais pire qu’avant. Les gens prirent du temps pour absorber la signification de ces mots. Est-elle toujours en vie ou fauchée ? Mort naturelle ou provoquée ? La réponse à cette question ne tarda point. La même voix retourna avec la nette impression de cordes vocales forcées de vibrer :

« Nous espérons qu’elle soit toujours en chair et en os ».

Un  silence pénible comme une morsure, glacial comme un courant d’air polaire, lourd comme du plomb, étrange comme une éclipse de soleil, lugubre comme un enterrement, opiniâtre comme l’âne, s’ensuivit. Le silence fut rompu par une voix féminine familière :

« Pas si vite, mon ami. Je suis vivante et en chair et en os » ! Theresa fit son entrée coutumière, stylée comme du cristal reluisant. La foule spontanément chanta Joyeux Anniversaire  et la liesse remplaça le deuil de tantôt. Les applaudissements réchauffèrent l’atmosphère et remplirent les cœurs d’allégresse. HD remarqua que Theresa boitait, même légèrement. Il la connaissait intimement assez pour détecter la plus subtile perturbation de sa marche.

« Quel tour astucieux tu nous as joué ! Je dois t’avouer que pour un instant l’idée de ton départ pour le pays sans chapeau m’a secoué profondément et j’ai ressenti une sensation très désagréable. Bonne Fête » ! Il plaça un bisou sur les lèvres de Theresa.

« Je n’avais aucune idée que ma disparition aurait un tell effet sur toi, fameux célibataire » !

« Tu sais bien que j’ai des sentiments profonds envers toi. J’ai remué ciel et terre pour être présent ce soir comme beau cadeau pour toi. Je veux danser avec toi et te rendre folle et heureuse ». Il planta une autre bise qui dura plus longtemps cette fois et elle eut un frémissement.

« L’humection  ce soir doit gravir une vitesse supérieure » !, répondit-elle d’une voix suave, une exclamation énoncée comme un chuchotement mais ayant le poids d’un éléphant. Ils nocèrent leur soûl pendant la fête et plus tard à poil, tous deux en rut incontrôlable.

« Je vois que tu boites. As-tu une entorse ou quoi » ?

« Il t’a pris du temps pour me poser cette question. En effet en faisant le jogging je me suis blessée à la cheville ».

« Tu te paies ma tête ? Ta hanche et non ta cheville est à l’origine de cette déambulation anormale. Quelqu’un t’a frappée » ?

« Qu’est-ce qui te fait poser une telle question » ? Il parut clair par son langage corporel qu’elle essaya d’élider le sujet.

« Tu sais bien que tu n’as pas le don de mentir. Que s’est-il passé » ? HD avait les mains aux hanches, le visage exaspéré.

« J’ai récemment démasqué une bande de cybercriminels et peu de temps après un voyou m’a frappé avec un bâton de baseball. Récemment j’ai reçu plusieurs messages ou vidéos étranges. Cela m’inquiète un peu.

« Tu allais me cacher cette histoire » ?

« Pourquoi penses-tu que j’ai insisté sur ta présence à la fête ? Tu sais bien que je préfère ne pas demander du secours directement ».

HD conclut que son expertise fut requise et il ne voulut point s’attarder sur la forme de la demande. La plus importante matière à trancher resta de trouver la piste de ces criminels et des voyous à leur solde. S’il y a vraiment des cybercriminels, il aura besoin du concours de ses amis au bureau fédéral. Il rumina dans sa tête la marche à suivre. Il devra vérifier les messages reçus pour les tracer, regarder les vidéos des caméras publiques, etc. Surtout il va falloir les prendre  dans une souricière. Par intuition, HD sut que Theresa lui donna une version très courte de l’histoire et omit des détails très importants. Extravertie, oui, mais pingre parfois avec les détails de sa vie privée quand elle ne maitrise pas une situation. HD sut aussi que pour obtenir les moindres détails nécessaires il faudrait éviter d’insister sur le champ et de lui donner du temps pour s’habituer avec l’idée de son besoin d’aide. Le lui rappeler ne ferait qu’aggraver la situation. Pour séduire Theresa, HD ne dit plus rien du sujet et offrit de cuire le petit déjeuner et par-dessus le marché sa recette préférée : un mets jamaïcain, l’akée avec la morue salée et le plantain frit. Il avait pris soin avant de quitter Washington, DC, d’en obtenir dans une épicerie desservant la population caribéenne.

« Que c’est délicieux mon petit chou ! Tu sais très bien comment  me courtiser » ! En disant ceci, elle posa un pied nu sur son aine et le dirigea vers son joystick, rien que pour le provoquer.

« Tout pour satisfaire une belle étoile qui luit jour et nuit » ! Il dirigea un orteil habilement vers une fleur moite, entourée d’une chevelure drue.

Une fois repue, « Viens que je te raconte ce qui s’est passé. La détection de cybercriminels est routine, comme tu le sais. Oui on m’a agressée peu de temps après une telle découverte mais comme tu l’as déjà deviné ce n’est que pure coïncidence. Il y a deux jeunes hommes qui me font des œillades de temps à autre, l’un au bureau et l’autre au gymnase. Je les ignore car ils sont arrogants. Je ne serais pas surprise si l’un des deux a quelque chose à voir avec ce coup que j’ai reçu ».  HD écouta avec attention car Theresa fut dans son état loquace et il ne voulut rater aucun détail important. Cette récitation parut plus proche de la vérité, quitte quelques autres détails à décortiquer, tels que nom, description physique, groupe ethnique, pensa-t-il.

Du point de vue de HD, sa tâche se résuma à trancher la question suivante : qui est le coupable ? Qui avait commandé cette agression ? Ce serait une mission hyper-délicate car il avait en face une cliente très exigeante. Une fois qu’elle aboutissait à cette conclusion de la source de ce méfait, seulement une évidence irréfutable serait acceptable pour le nier. Il ne voulait pas se coincer dans la position où elle pourrait bouder et lui reprocher « C’est pour cette raison que j’avais hésité de te demander de m’aider ». Ce serait le début d’une séance et d’une  succession de jérémiades sans fin.

HD n’aimait pas du tout débuter une investigation avec des œillères car on court le risque d’être pris au dépourvu. Il préférait explorer toutes les pistes et examiner le comportement des protagonistes sous la loupe minutieuse avant d’aboutir à un scénario probable. Il savait mieux que de questionner sa conclusion de front.

Theresa n’avait que peu de tuyaux sur chacun des individus autre qu’une description physique. HD prit son temps pour la filature de chaque individu. C’est ainsi qu’il découvrit que son collègue allait souvent à un bar après le boulot et l’autre individu, un pharmacien, allait au gymnase deux fois par jour, le matin et au crépuscule. Armé de ces données, HD passa à l’action.

Dans un mélange de ruse et de mise en scène, il engagea les services d’une call-girl pour encourager le collègue de Theresa à dévoiler ses secrets romantiques. Il lui donna quelques billets à l’effigie de Benjamin et l’un des billets avait une puce lui permettant d’écouter leur conversation. Il s’assit à une distance au bar avec des écouteurs subtilement cachés aux oreilles. En essence les passages saillants de l’entretien :

« Je suis en ballant ; je suis attiré aux hommes et parfois aux femmes… Dans une journée cette attraction peut changer d’un moment à d’autre… Je suis dans le comble…  Je souffre de la dépression et les médicaments m’accablent d’impotence comme effet secondaire… Je suis un  pacifiste… excepté en cas de crise de jalousie, car j’aime passionnément ».

Le dossier établi posa plus de questions que d’apporter des réponses définitives. L’évidence acquise ne permit point d’établir une culpabilité ou une innocence sans aucun doute.

HD décida d’investiguer l’autre jeune homme. Il alla au gymnase et sous peu ils s’entretinrent dans une conversation de vestiaire. Le jeune homme dégagea le machisme à travers ses pores.

« Je m’engage dans la culture physique pour développer un corps musclé, bien buriné car les nanas me convoitent.  Elles sont partout et viennent au gymnase pour se faire voir et regarder. Elles portent les tenues les plus provocatrices, exposant leurs tétons et leurs séants comme une table de garnitures accessibles aux plus avares… Je dois avouer que mon appétit pour le plaisir charnel est insatiable et je m’imagine vivant dans un harem, entouré de jolies nénettes, de pucelles prêtes à se faire déflorer. Ah ! Ce serait le paradis terrestre. En attendant ce rêve concrétisé, ce lieu jouera le même rôle et j’aurai toujours le choix de belles pour me plaire » !

La conclusion d’HD après une telle tirade : pauvre de modestie, riche de grandiloquence. Le bilan entre les deux individus pencha vers le second comme suspect. Cependant sans aucune preuve, une accusation n’est pas de mise.

HD passa au deuxième tour pour essayer de capturer plus d’évidence. Il essaya un autre truc avec le premier suspect. La call-girl le rencontra une seconde fois au bar et mentionna qu’elle connaissait une amie du nom de Theresa qui travaillait pour la même entreprise.

« La jolie Theresa ! Je l’admire et je rêve d’entretenir une liaison amoureuse avec elle » … Il avait les yeux écarquillés en s’exprimant ainsi.

« Theresa ne me paie pas de mine. Et pourtant je serais dispos à offrir ma poitrine pour recevoir une balle tirée en sa direction ».

HD conclut que ce gars était ou un excellent acteur et fieffé menteur ou un homme confus. De toute façon deux fois de suite, il ne prit pas l’appât offert par une femme très attractive. Sa langue déliée par l’alcool préféra bavarder sur ses problèmes. HD sut que cette piste s’avèrera fausse et il ne voulut pas gaspiller ses ressources pour retourner bredouille.

Le second mec, le fanfaron, au gymnase en présence d’HD fit cette observation en direction de Theresa qui était venue comme à l’ordinaire, prétendant ne pas connaitre HD.

« Cette biche joue à l’importante. Je parie que j’aurai sa couche sans coup férir. Les femmes comme elles, je les trouve facilement. La prochaine fois qu’on se voit, je te donnerai de ses nouvelles au lit ».

HD et Theresa firent une randonnée pour le reste de ce jour-là en allant de Monterey à Big Sur.   Ils passèrent la nuit ensemble, à Carmel-by-the-Sea, une place idyllique, l’humection ayant été activée. Par curiosité, la prochaine soirée ils se rendirent au gymnase. Le mec eut le toupet de dire à HD que les deux avaient eu un échange charnel passionné, « …lequel je n’ai pas eu de mémoire récente » !

Il devint évident pour HD que ni l’un ou l’autre ne furent responsables de cet acte aléatoire de violence. Cependant ce ne fut que la moitié de l’investigation. Il lui incomba de trouver le suspect, sans aucun indice pour le guider. L’échec de le trouver ne fut pas une option. Il s’imagina que Theresa dirait, « Tu peux résoudre des cas difficiles mais le mien constitue une bagatelle, de menue importance, pour capter ton attention ».

Dès le début il douta fort qu’un homme intéressé à une femme aurait commis un tel acte plutôt que le viol. D’habitude une crise de jalousie pourrait expliquer une telle réaction mais il n’exista aucune liaison établie. Il eut recours à un truc qui maintes fois aidait à trouver la bonne piste. Il lit les faits divers dans les journaux locaux des semaines précédentes. Il passa une matinée entière à la bibliothèque locale  et à sa grande satisfaction, l’histoire d’un individu capturé quelques jours plutôt attira son attention. Le reportage dit ceci :

Les femmes de ce quartier peuvent respirer maintenant avec la capture de cet ivrogne dément qui fort souvent utilisa un bâton de baseball comme arme blanche pour frapper ses victimes, surtout les belles femmes vêtues de manière osée pour son goût. On ne saura jamais le nombre de victimes car toutes ne portent pas une plainte au poste de police. Les forces de sécurité profitent de cette occasion pour encourager les victimes de délit de les contacter en commençant par ce cas. Si récemment cet individu vous a frappée, veuillez contacter votre poste de police pour enregistrer une complainte.

HD prit une photo de cet entrefilet et l’envoya à Theresa avec le sous-titre : Les choses ne sont pas ce qu’elles ressemblent au prime abord. Je crois avoir trouvé  le coupable. Connais-tu l’expression humection ? Si oui, sois prête plus tard !

 

Reynald Altéma, MD


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