QUELQUES RÉFLEXIONS.
« Plein, délié ». Deux mots ancrés dans nos jeunes esprits dès le premier jour de classe de la première année d’un cycle d’études de sept ans sous les auspices d’un système congréganiste. Ces expressions surannées de nos jours mais très à la mode à l’époque, évoquent des souvenirs aigres-doux, sinon pénibles. Des moments passés avec un buvard, une plume à encre et un encrier pour accomplir une corvée, l’acquisition d’une écriture élégante. Pour augmenter le niveau de stress, on avait la crainte de pensum additionnel en cas de souillure de nos vêtements avec l’encre. Cette aptitude, la calligraphie, une fois maîtrisée devint une source de fierté et un symbole d’un système prisant ce don. L’effort mis pour l’achèvement de ce stade contribua à son appréciation.
Crédules fûmes-nous d’une part à cause de notre innocence dans notre position de pépins absorbant les faits de mémoire sans comprendre le contenu. Ce fut le temps des études par cœur quand on récitait à tue-tête la composition des commissions civiles envoyées dans la colonie sans un iota d’analyse du conflit ambiant. Mais d’autre part nous fûmes remplis d’hubris à cause de notre exubérance ; ainsi le récit de la supériorité de la belle écriture s’incrusta dans nos esprits. Que par dessein ou par chance, cette pratique de formation de lettres élégantes creusa un fossé entre ceux qui l’admirèrent et dédaignèrent une écriture moins élégante comme « pattes de mouche » et ceux qui rétorquèrent en clamant que « la belle écriture, c’est la science des sots ».
Cette distinction d’une belle écriture deviendra une caractéristique identitaire aussi bien qu’un badge et le sujet de menues conversations ou de compliments. Ceux qui parmi nous sont dans le camp de cette approche esthétique la classifient de catégorie utilitaire et non optionnelle. Ce qui dans notre jeunesse paraissait comme un acquis eut un réveil difficile d’un long sommeil. Dans le meilleur exemple de justice poétique, coup sur coup l’attitude sur la formation de belles lettres fut envoyée sous le bus.
D’abord, devenus parents et vivant dans cette république étoilée, nous dûmes confronter la rude réalité du peu d’importance accordée à ce don dans les écoles. Au lieu du mépris de « pattes de mouche » que nous avions adopté, maintenant nous fûmes pris aux abois. Le sens esthétique avait fait un demi-tour et dorénavant on enseignait à notre progéniture « que peu importe une écriture élégante dans le style cursif quand on a le choix du caractère d’imprimerie ». Ou encore pire « peu importe d’avoir une belle écriture ». Ô ténèbres de ténèbres, quelle absurdité !
Ensuite nos découvrîmes la délicatesse de ce sujet vis-à-vis nos camarades et nos connaissances sociales. Dans un paradoxe inexplicable des deux côtés de l’océan, une détérioration vertigineuse de cette élégance dans la formation des lettres s’amorça parmi nos confrères et consœurs qui avaient passé par ce même moule d’antan. En effet, du temps des dossiers (des malades internés) écrits à la main, assez souvent on avait la mission de déchiffrer l’écriture d’un confrère ou d’une consœur consultant(e). N’oublions pas le truisme qu’un médecin par définition détient le privilège de l’écriture atroce. Au fait la rumeur veut faire croire qu’en faculté de médecine, on nous enseigne cette technique de l’herméticité pour empêcher les profanes de comprendre les mots. Bien des fois cette notion est répétée avec la conviction d’une foi religieuse. C’est remarquable qu’une opinion énoncée aléatoirement puisse persister malgré l’absence de fondement. Cependant et en toute franchise, la réputation acquise par notre profession fait entorse à la passion imbue dès notre prime enfance pour l’appréciation des lettres bien formées en style cursif. Quel plaisir lorsqu’on lit un texte avec ces caractères si bien reproduits. Pourquoi les médecins ont cette tendance reste un mystère à élucider. La rapidité dans la formation des lettres joue certainement un rôle mais je me garde de m’exprimer ex cathedra sur ce sujet.
D’une façon pratique, l’installation forcée d’ordinateurs par le gouvernement fédéral pour emmagasiner les dossiers des patients reste un tour de maître pour réduire les erreurs d’interprétation à cause de l’illisibilité des mots sur papier. Un débat sur l’importance de la calligraphie serait stérile et même terre à terre, car beaucoup de personnes pour une raison ou une autre ne peuvent pas l’acquérir. De plus, cela créerait un conflit inutile et pourrait offenser lorsqu’on critique la formation de lettres par un individu. La maturité nous a longtemps enseigné sur le gouffre énorme de la rétroaction qui sépare une boutade perçue ou comme une taquinerie innocente ou une chicane mesquine. La frontière entre ces deux perceptions est assez fluide.
C’est un sujet délicat et sur lequel on doit par nécessité développer une tolérance. La querelle d’antan entre les partisans de la belle écriture et ceux qui s’en foutent, avec le recul du temps, décèle une faiblesse de notre formation, l’intolérance de l’altérité. Cette intolérance se manifestait de plusieurs façons : l’interdiction du créole, la punition sévère du gaucher qui insiste à ignorer la main droite, le mépris de l’handicapé, et autres atteintes affreuses à l’égalité. De plus, l’évaluation de la formation des lettres accède à un niveau noble, dû à notre engagement socratique en nous référant à la sémiologie. L’analyse de la micrographie comme style d’écriture nous permet d’établir le diagnostic de la maladie de Parkinson. La formation des lettres chez le patient avec la maladie de Graves s’avère différente avant et après une thérapie efficace. La recherche sur, et l’analyse de l’écriture dans différentes maladies demeurent une discipline émergente. De surcroît, l’écriture de l’individu dans l’absence de maladie partage avec le timbre de la voix, l’empreinte, l’image de la rétine une caractéristique anthropométrique permettant l’identification forensique d’une personne.
En analyse finale, l’expression “une belle écriture” retient un cachet spécial car le compliment se dirige vers deux activités distinctes selon la circonstance. Dans un premier cas, le mot écriture décrit une activité mécanique qui pond un œuf esthétique. Cette activité correspond au vocable anglais « handwriting », ou au plus élégant « penmanship », le thème de cet essai. Dans le deuxième cas, le mot dévoile une activité cérébrale fécondant une œuvre captivant le réel en attisant l’imaginaire. Cette deuxième activité, la jumelle de l’expression anglaise « writing », ou de la plus littéraire « penning », représente le processus utilisé pour développer ce thème. Une écriture élégante dans le premier sens malgré tout demeure un plaisir visuel passager tandis que dans le deuxième sens cela vivifie l’esprit et nous transporte dans un état d’extase.
Reynald Altéma, MD.