COIN D’HISTOIRE.

2 ATHLÈTES REMARQUABLES :
SYLVIO CATOR ET ANDRé THEARD.

Le mois de février dernier nous offrait deux célébrations : la culture des Noirs et les Jeux Olympiques d’hiver, deux évènements d’habitude séparés par un mur étanche car peu d’entre nous y participent. Cependant nos voisins, les Jamaïcains, y sont présents depuis 1988 et ils ont acquis une réputation d’as de l’athlétisme dans les jeux d’été en amassant une collection de 87 médailles. Mesuré à l’aune de ce palmarès, notre pays natal mérite un carnet d’échec. L’ironie est que très tôt dans les annales de la compétition sportive internationale, Haiti paraissait prometteuse. Ne serait-ce que  pour répondre aux taquineries de nos confrères de la diaspora qui nous aiguillonnent à cause de notre absence éternelle au podium, il ne serait pas une mauvaise idée de se familiariser avec les faits qui seront relatés dans cet exposé.

Le recordman dans les cent mètres de nos jours est bien le Jamaïcain Usain Bolt, un coureur hors-pair. Jesse Owens en revanche avait battu le champion allemand pendant les jeux de Berlin en 1936. Ces faits sont bien connus et souvent mentionnés lorsqu’on parle de nos achèvements majeurs dans le domaine des sports. Il y eut d’autres victoires qu’on ne mentionne que rarement. Par exemple Sylvio Cator, le 9 septembre 1928 à Colombes en France a obtenu le record pour le saut en longueur avec 7,93 mètres (légèrement plus que 26 pieds), un record qui ne sera battu par un  Européen qu’en 1967 par le Russe, Ovanessian. Notre compatriote Constantin Henriquez a été l’un des premiers Noirs à gagner une médaille olympique en 1900 comme membre de l’équipe de rugby de la France. Les curieux peuvent acquérir ce livre magnifique, S. Cator et A. Théard, Gouverneurs de la Cendrée, par Pascal Médan. Ce trésor est aussi disponible par un téléchargement gratuit sur Amazon. C’est un véritable panégyrique, bien documenté, écrit par un Français. Ce livre nous apprend beaucoup sur la vie, les victoires et échecs de ces deux athlètes qui vivaient pendant l’occupation américaine et subissaient maintes humiliations entravant leur épanouissement. Il met en exergue aussi les particularités de notre société qui tarde toujours à offrir les mêmes opportunités aux différentes couches sociales, une mesure qui réduit le progrès dans toutes ses dimensions.

Sylvio Cator. Né à Cavaillon dans le Sud en 1900, il est décédé d’asphyxie due à une infection de la voie respiratoire en 1952. Son père était un général et il fréquentait l’Institution Saint-Louis-de-Gonzague une fois établi à Port-au-Prince à l’âge de huit ans. Il quitta le pays en 1911 à la chute du président Antoine Simon et prit la route de l’exil en Jamaïque pour un séjour de sept ans. Il découvrit une passion pour les sports et surtout pour la course et le football. L’école qu’il fréquentait encourageait les élèves à participer au sport.

André Théard. Né à Port-au-Prince en 1905, fils de diplomate mais élevé par son beau-père, de souche italienne, M. de Rogatis et sa mère. Il avait étudié à l’Institution Saint-Louis-de-Gonzague.

En 1924, une compétition fut tenue à Port-au-Prince pour envoyer une équipe à la VIIIe olympiade. Un comité National Olympique, duquel faisaient part Constatin Henriquez, Louis Déjoie et Seymour Pradel, parmi d’autres, organisa cette compétition. Théard enregistra une vitesse d’horloge de 10 secondes 4/5 pour les cent mètres tandis que Cator eut un saut en hauteur de 1 m 85 et de 7 m 31 en longueur. Ce faisant, Cator devança le record de plusieurs pays européens incluant la France. Ces exploits furent accomplis malgré la carence d’entraineurs qualifiés et d’un programme rigide d’entrainement disponible au pays. Malgré de telles performances, l’état de tutelle sous lequel vivait le pays permit à un citoyen américain au poste de conseiller financier sous le nom de Cumberland de regimber et de ne céder que sous la pression populaire pour permettre l’inclusion de nos héros dans l’équipe envoyée à Paris pour représenter notre pays. Des francs-tireurs de la Gendarmerie furent choisis par les occupants à l’insu de compétition ouverte pour y participer. En deçà de cette gifle, Cator  subit une blessure en sautant car le sautoir n’était pas adéquat. Donc un Cator blessé participa aux Jeux Olympiques de 1924. Allant de mal en pis, un appel de cotisation dut être lancé à la population pour subvenir aux frais de participation de ses athlètes.

Le trio haïtien de Cator, Théard et Armand (saut en hauteur et en longueur, 100 m et saut en perche respectivement) ne fit pas belle mine, faute de bonne préparation technique et bonne condition physique dans le cas de Cator. Théard est resté en France pour étudier le génie à l’école des Travaux Publics et participait à l’athlétisme comme dilettante. Mais Cator  décida de prolonger sa présence en France pour améliorer sa technique et de participer à des compétitions de sprint et de saut en hauteur et en longueur. Cator battait les meilleurs  compétiteurs français.

En 1925, Théard améliora sa performance en compétition alors qu’il étudiait à plein temps. Il gagnait de plus en plus, aux Jeux portugais à Lisbonne et au prix Panajou  à Bordeaux. Au championnat d’Angleterre il se plaça en deuxième position mais en avant des coureurs anglais. Durant cette saison, Cator faisait la pluie et le beau temps dans le saut en longueur et de temps à autre il gagnait le sprint ou le relais en compagnie de Théard.

Leur conduite a été impeccable sur et hors du terrain. Cator fit une fois cette déclaration au journal Le Match, « Théard et moi avons une mission : faire connaître notre pays. Nous sommes convaincus que la propagande sportive est la meilleure. » De belle allure, décrite « d’une élégance sobre, démarche…souple…svelte, élancé… » dans des entrefilets des quotidiens. Cependant le racisme toujours à fleur de peau explique cette phrase publiée dans Le Temps en 1928, d’après Médan, « Il a battu le record. Alors inconsciemment, il danse en se frottant le ventre, il ne manque que le tam-tam… Il touche terre à nouveau, moralement cette fois, puisque la civilisation reprend ces droits…. »

La fierté ressentie de nos jours par nos amis jamaïcains était aussi palpable parmi nos concitoyens à cette époque. Citons Dantès Bellegarde qui écrit dans Haïti-Sport en 1925, « …. Nos deux jeunes compatriotes ont non seulement consacré dans le monde la réputation sportive d’Haïti, mais suscité les plus vives curiosités autour du peuple de qui sont sortis de si merveilleux champions. Les plus grands journaux, en même temps qu’ils publiaient les prouesses des athlètes haïtiens, consacraient des notes bienveillantes à notre pays trop mal connu. Et les foules nombreuses….ont appris à connaître  Haïti et à lui faire une place parmi les représentants les plus qualifiés du sport. »

Théard est resté en France pendant sept ans. Il a d’abord évolué au club CASG durant une année  puis le Paris Université Club (P.U.C.) pour le reste de son séjour. Un membre du P.U.C portait le qualificatif de puciste. Cette affiliation revêtait la dorure d’une souche du Quartier Latin. Ces pucistes avaient la réputation de bons viveurs et d’amateurs des sports, ne recevant pas de rémunérations. Citant Médan, « Jusqu’à son retour définitif en Haïti, il reste le meilleur coureur de vitesse de l’hexagone, dictant régulièrement sa loi aux frères Mourlon, à Cerbonney comme aux représentants de la Nouvelle génération. »

Une perle historique mémorable. En juin 1926, pour participer à une invitation des Allemands pour une compétition d’athlétisme, Théard fut choisi comme participant de la délégation française. Il l’accepta par courtoisie pour ses hôtes qui l’avaient inclus  parce qu’ils n’avaient pas de concurrents de taille pour les Allemands. Un coureur allemand de renom, Koernig, refusa de lui serrer la main pendant une représentation à l’Opéra de Berlin. Mirabile dictu, Théard eut sa revanche en gagnant et en battant les Allemands dans le sprint. Cela se passa en 1926, soit dix ans avant l’épopée de Jessie Owens. Un Haïtien, Français par courtoisie pour cette occasion, accomplit cette victoire de marque !

Un autre évènement lui gagna l’admiration du public au stade mais qui parait un peu étrange de nos jours. En 1927, sous Mussolini, l’Italie eut la distinction d’organiser les Jeux Universitaires de la Confédération Internationale des Étudiants. Castor gagna en un temps fantastique de 10 s 3/5. Au podium, l’orchestre entama Star Spangled Banner au lieu de La Dessalinienne. Il suggéra l’Hymne royal d’Italie qu’il connaissait de son beau-père car le chef d’orchestre n’était pas familier avec notre hymne. Cette demande fut vivement applaudie et Mussolini lui offrit un drapeau italien avec l’insigne des Jeunesses Fascistes. De ce côté, il n’existe pas de sympathie pour le fascisme ; je ne condamne pas le messager car il était de bonne foi, mais il avait affaire à une brute sans peut-être le savoir. Cette même délégation bénéficia de sa prouesse sur le terrain quelques jours plus tard en Hongrie en face de son coureur Hadju. De la Scandinavie aux Balkans, Théard gagnait toutes les rencontres.

Amsterdam 1928. Théard fut frappé d’un rhume et il ne se portait pas bien. Il eut une faible performance et ne fut pas parmi les finalistes. Castor souffrait d’un claquage musculaire mais arrivé en Hollande un mois avant la compétition, il avait eu la chance d’être soigné par un médecin suisse, ce qui l’avait aidé beaucoup. Son meilleur bond légal de 7 m 58 lui valut une médaille d’argent (un autre bond de plus de 7 m 80 ne fut pas accepté), la première en athlétisme pour notre pays. Théard en dépit de sa pauvre performance à Amsterdam regagna sa forme et obtint la victoire aux Jeux Universitaires de cette même année. Castor qui rata la médaille d’or de peu se racheta à la compétition au State Français de Colombes, le site des Jeux Olympiques de 1924. Souffrant d’un claquage et d’une talonnade, il avait en face de lui l’Allemand Meier. Dans un bras de fer pour l’éternité et en dépit de ses blessures, il donna la performance de son existence en sautant une longueur de 7 m 93 ! Un nouveau record mondial !

Théard et Cator ont subi du racisme de part et d’autre. L’histoire retiendra que l’Anglais Abrahams gagnant du sprint en 1924 et lui-même sujet d’antisémitisme immortalisé par le film « Charriots of Fire » eut des propos désobligeants envers Cator en 1925 lors des compétitions en Angleterre. Médan rapporte cette citation publiée dans Le Miroir des Sports en septembre 1928, « En voilà un qui s’imagine pouvoir sauter vingt-six pieds… »

Cator a toujours voulu rehausser la réputation de son pays. Il n’avait aucune attitude obséquieuse envers les occupants. Sa démarche pour obtenir des signatures pour une pétition entamée par les jeunes étudiants pour soumettre à la commission Forbes que le président Hoover allait envoyer au pays lui attira des ennuis avec la police locale, mais il ne se laissa pas  intimider. Il était l’ami de Jacques Roumain qui lui dédia un poème intitulé « Cent mètres ». Leur amitié s’entretenait  malgré leurs tendances idéologiques opposées. Cator n’avait aucune attraction vers le communisme ou l’indigénisme. Élu maire de Port-au-Prince, puis député d’Aquin, il avait ouvert un restaurant au Champ-de-Mars, « Le Savoy », le lieu de rencontre des personnalités de la gauche de passage au pays, comme Nicolas Guillen et autres.

Cator et Théard se rendirent aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1932 mal préparés et en mauvaise forme physique. L’Américain Gordon fut le vainqueur du saut en hauteur. En guise de chant de cygne et comme justice poétique, une rencontre organisée au « Soldier Field » à Chicago par le Daily News se solda en échec pour Gordon et une victoire pour Cator devant un public de 50.000,00 personnes. Signalons que Gordon après sa victoire à Los Angeles n’avait pas exprimé l’esprit de support coutumier à l’adversaire perdant. Ceci avait irrité Cator.

Théard avait eu une longue vie et il mourut nonagénaire. Il avait représenté son pays aux USA comme diplomate  dans les années soixante.

Haïti et la Jamaïque  furent peuplées par une population similaire d’esclaves. La Jamaïque a toujours eu une tradition de cultiver les activités sportives et d’encadrer les participants même de façon rudimentaire car l’athlétisme ne demande pas des dépenses extraordinaires. Donc Haïti est en mesure de produire des athlètes tout comme notre voisin de l’île qui fournit des as du baseball (beaucoup de souches haïtiennes). Un tel dispositif jouerait le rôle de magnétisme pour les jeunes au lieu de courber au péché mignon (pas si mignon de nos jours) du gangstérisme.

Reynald Altéma, MD.

 

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