MIEUX COMPRENDRE LE PATIENT QUI VIENT DE LOIN.
A une dame de la soixantaine qui me demanda l’autre jour pourquoi sa fille qui était une enfant normale commençait à afficher des gestes et comportements anormaux vers l’âge de 17 ans alors qu’elle s’apprêtait à terminer ses études classiques pour entrer au collège de son conté, je répondis que certaines maladies arrivent un peu plus tard dans la vie, et que peut être, il existait des signes prémonitoires qui n’étaient pas souvent visibles de l’extérieur. Je pensais certainement au « Huntington disease », à la dementia ensuite que j’allais prendre en exemple pour étayer ma thèse. Elle insista alors pour me dire qu’elle a toujours vécu avec sa fille et que s’il existait une quelconque anomalie, elle l’aurait remarquée bien avant toute autre personne. Pour elle, les maladies physiques peuvent se développer tard dans la vie et peuvent être dues au vieillissement des organes Mais le même concept, dans son esprit, ne s’appliquait guère aux maladies mentales. J’ai d’abord recouru à la schizophrénie dont l’une des théories est l’effet ‘’pruning’’ où les terminaisons nerveuses, à mesure que l’on grandit, ne supportent pas les récepteurs censés négocier un passage continu des flux et reflux chimiques et physiologiques au niveau du corps, entrainant ainsi des troubles de toutes sortes au niveau du cerveau. J’ai aussi cherché à savoir s’il y avait chez les parents de l’enfant quelqu’un qui souffrait d’un tel problème dans le temps. Mais elle répondit que ni du coté paternel ni de celui des siens propres, elle ne connaissait personne souffrant d’un tel trouble du comportement dans le passé. J’avançais dans mon investigation en lui disant que l’hérédité peut expliquer tout cela, et que des fois , un grand parent, même non diagnostiqué, pouvait expliquer le problème actuel auquel sa fille est en train de faire face.
En fait, sa fille se présentait avec tous les signes et symptômes caractéristiques de quelqu’un qui souffrait de schizophrénie. Elle parlait à elle-même et riait de manière inappropriée de jour comme de nuit, et elle maintenait un niveau d’hygiène corporel assez indésirable.. Elle restait pendant des heures à fixer le plafond sans dire exactement ce qu’elle regardait. La dame avançait alors que ce devait être un problème racial et qu’elle ne semblait avoir aucune chance dans la médecine traditionnelle, telle que nous la pratiquons sur sa fille, et qu’elle avait commencé de plus en plus à perdre tout espoir de voir sa fille arriver au mieux-être qu’elle lui recherchait. Elle ajouta en suite que si c’est un problème au niveau des parents, ce doit être alors un phénomène racial et qu’elle ferait mieux de retourner dans son pays avec l’enfant pour des consultations d’un autre genre. J’ai compris exactement où elle voulait en venir. Et je commençais par me sentir agacé par son attitude.Mais je ne laissais guère ma contre- transférante, cette sorte de sentiment méchant ou bienveillant vis –à-vis du patient, gagner le dessus. Je réalisais que peut- être, je ne m’étais pas assez bien expliqué. J’ai alors repris mon sang froid. Pour elle, quand je mentionnais la famille comme une cause probable de la maladie, je parlais des esprits de la famille qui seraient venus jusqu’ici troubler sa quiétude et celle de sa fille. Elle alla jusqu’à questionner le système de santé mentale tel que nous l’appliquons sur sa fille. Elle était visiblement frustrée. Et, sentant que je n’allais pas parvenir à la convaincre du bien fondé du traitement que recevait sa fille, j’ai demandé tout simplement qu’elle accorde plus de temps et plus de chance aux médicaments que je prescrivais, quitte à revenir plus tard sur sa croyance des faits et sur sa vision de la santé. Je comprenais aussitôt combien était grand le choc culturel et comment les croyances quelques fois pouvaient nuire au déroulement harmonieux du traitement. Cela m’a aussi fait penser que de quelque coin du monde que puisse venir un patient, il faut toujours chercher à comprendre sa culture et ses croyances s’il faut parvenir à lui être utile. Les patients viennent de loin, de très loin parfois, et de toutes parts. Il faut parfois partir à leur rencontre, les chercher par une interrogation subtile, les joindre à mi chemin, voire s’imprégner de leur culture jusqu’à ce qu’ils soient assez confortables et qu’ils finissent par s’ouvrir entièrement à vous. Certains groupes ethniques, en raison de mauvaises expériences qu’ils ont eues dans le passé avec le système de santé, vont chercher à éviter, autant que possible, d’aller chercher du traitement .Comme conséquences ils arrivent souvent tard avec des problèmes qui auraient pu être traités ou adressés de manière plus efficiente au tout début. On a indexé dans ce groupe de patients, non sans raison, les Afro-Américains qui, depuis l’expérience de Tuskegee, où des vétérans de la Air Force avaient été gardés sans traitement pendant des années , pour voir quel allait être l’effet à long terme de la syphilis sur leur corps physique, continuent aujourd’hui encore, d’exprimer leur méfiance par rapport au système de santé Américain.. C’était un tort irréparable de laisser mourir dans la souffrance un groupe ethnique bien particulier et de prétendre le traiter sans vraiment rien faire pour l’aider. Aujourd’hui, cet acte odieux serait classé très au haut au tableau des crimes généralement considérés comme étant des crimes contre l’humanité. Car, C’était une violation flagrante qui avait eu lieu au regard du triple principe d’autonomie (ils n’étaient pas consentants)de bienfaisance ou non maléficence (ils ne leur ont pas donné le traitement qu’ils étaient venus chercher) et de justice (seuls les Afro-Américains avaient subi un tel traitement désavantageux),tous paliers inébranlables de la médecine moderne.
Le patient qui vient de loin n’a pas sa résidence dans une Aire géographique bien délimitée. La distance dont on parle ici, elle est économique, socioculturelle, générationnelle. Bref, c’est tout ce qui peut servir de barrière à une relation parfaite entre le médecin et le Patient. Dans sa composante socio culturelle, elle est ce patient peu éduqué qui n’arrive pas à digérer les tonnes d’explications dont le médecin l’affuble et qui le rendent de ce fait incapable d’exécuter à la lettre les prescrits de celui-ci. C’est le patient vit dans un pays étranger, loin de sa terre natale, hors de sa culture, et qui vit dans un milieu où il est souvent jugé à cause de son tremplin ethnique. Il est rapporté que le patient venant d’une culture exogène a du mal à se confier au médecin et au personnel médical par peur d’être jugé à cause de ce qu’il est. Dans le patient qui vient de loin j’identifie aussi l’immigré qui souvent , malgré lui, continue de garder son ancrage dans la culture d’origine en même temps qu’il s’efforce de s’intégrer dans la culture d’accueil.il faut reconnaitre que des pas de géant ont été entrepris en vue de mieux intégrer le patient exposé à de tels obstacles. Dans cet ordre d’idée, la psychiatrie moderne reconnait que certaines maladies mentales sont spécifiques à des groupes ethniques bien déterminés. On peut mentionner le Koro ou Syndrome de rétractions génitales qui se voit chez les Chinois et les Malaysiens ; l’Amafufa-nyane qui est une sorte de paralysie du sommeil rencontrée chez les Zulu d’Afrique du Sud. Le piblokto est une maladie où le sujet qui en est atteint se met à courir sans arrêt. Cela est fréquent chez les peuples eskimos. Le latah est une sorte de frayeur qui est propre aux peuples Malaisien et Indonésien. Enfin il y a le qui-gong qui est une réaction psychotique reportée chez les Chinois. Les vietnamiens et les Portoricains ont également des traits psychiques qu’il faut chercher à déterminer dans le cadre de leur culture. Les crises de nerf étaient bien connues dans la population haïtienne d’autrefois .Les femmes surtout, à la suite d’une altercation ou lors du décès d’un être cher entraient dans une sorte de convulsion et d’agitation suivies d’un long temps d’immobilisme que seule l’odeur du formol appliqué directement sous le nez, pouvait interrompre. On disait alors que la personne est revenue. J’en ai pas vu un cas en Haïti depuis plus de trente ans à trente cinq ans.
Mais j’imagine que le phénomène existe encore. Quand au phénomène dit de contact avec les esprits, particulièrement avec des ancêtres défunts qui viennent délivrer des messages ou qui accordent une sorte de protection aux survivants, il n’est pas seulement fréquent en Haïti, mais est plutôt lié à de nombreuses sous-cultures. Le phénomène dit de chevauchement par des esprits est bien réel bien que beaucoup de gens de l’occident aient du mal à le reconnaitre. La bible ne rapporte pas elle-même que du temps de Jésus, il y avait un homme possédé par des légions démoniaques qui se trouvait comme par hasard sur la route du christ ?. Quand les légions virent Jésus s’approcher de l’homme, les légions s’écrièrent : je vous en supplie, Ne nous chassez pas dan la mer !. Jésus alors les conjura et les chassa sur une horde de pourceaux qui étaient dans les proximités. On raconte que les pourceaux furent tous pris d’agitation et se jetèrent dans la mer ou ils furent tous noyés. L’homme fut aussitôt guéri. J’avoue avoir vu personnellement un homme qui devient possédé par un esprit ou un Loa après avoir eu le gros pouce entièrement sectionné par une hache alors qu’il travaillait dans les champs de mon père. Il rentra chez lui après l’incident et fut pris par des esprits pendant plusieurs heures au cours desquelles il prit un charbon ardent et le déposa sur son crane couvert de cheveux, sans qu’il ne fût brulé pour autant.je comprends aujourd’hui comment son action aurait été criminalisée et lourdement sanctionnée s’il avait osé dresser un boucan de feu dans son arrière- cour ici aux EUA. Ici on le croirait bien fou de cerveau pour paraphraser La fontaine. Or chez nous il n’en était rien. Il avait repris son sens quelques heures plus tard et le gros pouce fut complètement rattaché aux autres orteils du pied dans la suite.
Il Faut bien admettre que le patient qui vient de loin inspire de la peur et de l’inconfort chez le médecin traitant et le personnel médical. Cette peur provient avant tout de l’ignorance de ce qui constitue le vécu ou le passé d’untel individu qui est automatiquement jugé comme ne faisant pas partie des normes sociales aux-quelles on est tous habitué. Car l’instinct de préservation et de protection de soi y oblige… Le stigma, c’est-à-dire la façon dont un individu ou un groupe social donné est présenté dans la société y est pour beaucoup. Les statistiques révèlent que dans la communauté où nous vivons, les noirs américains, souvent considérés comme des individus violents, ont en général un plus fort taux d’admission dans un hôpital psychiatrique. Ils sont davantage exposés à des sédatifs puissants que n’en reçoivent le blanc ou toutes autres groupes ethniques de manière à réduire leur pulsion native vers la violence .Ils ont un plus fort taux de restreintes physiques et de réclusion. Dû à cette incompréhension, ils étaient, jusqu’à un temps pas trop lointain, plus couramment diagnostiqués de schizophrénie (maladie psychiatrique de longue envergure) par opposition aux blancs qui sont considérés come souffrant de bipolarité (une maladie traitable et récupérable).Dans le premier cas, on a moins de chance d’être réhabilité que dans le second. Cette peur et cette ignorance, comme dans un jeu de pendule ou de balancier, renforcent donc les stigmas et nuisent au diagnostique et au traitement. Quand le malade n’est pas traité comme il est dans sa vraie nature, ou pour ce qu’il a en lui de troubles psychiques ou émotionnels, sa condition va en s’aggravant et les chances de guérison vont en s’amenuisant de manière considérable. Dans ce système de santé mentale où tout est codifié et documenté de manière presque irréversible, il est important de faire une bonne historicité des conditions qui ont entouré les symptômes à leur tout début. Un diagnostique à la va vite est une condamnation presque sans appel à un traitement fortuit, inefficient, sans aucun lien avec le traitement qui s’impose.
J’ai dit au tout début qu’il fallait partir à la rencontre du patient et le porter a mieux exprimer ses besoins. Certaines fois, même après l’admission et l’initiation du traitement, il faudra rectifier le tir si l’on n’est pas sûr d’être sur la voie. On devra se rappeler que certains groupes ethniques vont répondre différemment au traitement même si ce dernier est appliqué à la lettre. On doit alors se demander si l’on n’est pas en face d’un groupe de patients qui sont bien plus difficiles que les autres. C ‘est là que le’’ Génétic maping’’ ou profile génétique du patient devra être mis en exergue. Tel groupe ethnique, dépendamment du médicament utilisé, va se révéler porteur d’un gène qui métabolise différemment le médicament. Si nous prenons un médicament qui a son action au niveau du cytochromep450 2D6 par exemple. Les Asiatiques ont un taux de’’ poor métaboliser ‘’ou métabolisme lent d’environ 0.5 à 2.7% du gêne 2D6.Par contre, les Américains blancs en ont un taux de métallisme lent qui varie entre 3% à 7% ,suivis de l’ethnicité hispanique 3-4%,et les Africain- Américains avec 1.9%.En termes clairs , cela veut dire que le blanc métabolise moins bien au niveau du récepteur 2D6, et le Noir beaucoup mieux. Les effets d’à cote seront moindres chez l’Africain American et plus chez les caucasiens. Certains patients reviendront plusieurs fois pour reporter des problèmes secondaires par rapport au traitement. Ils sont des métaboliseurs lents de ce médicament. Là encore le tremplin génétique et social de l’individu devra être pris en compte.
De même, en dépit d’une dose élevée d’un certain médicament, les symptômes du patient ne seront pas contrôlés s’il est un métaboliser rapide de ce médicament à un récepteur donné. Pour finir, mentionnons que certains noirs Américains et certaines gens du Moyen Orient qui ont généralement un taux bas de ANC(acute neutrophiils count) peuvent être placés sous clozaril avec un taux aussi bas que 1000N/microlitre au lieu des 1500N/microlotre. Ce sont des BEN ou Benign Ethnic Neutropénie Group. Ils ne courront pas le risque d’avoir des infections à répétition ,étant donné que leur neutropénie est normale et bénigne..
Dans ce tour d’horizon qui nous a permis d’examiner le patient depuis son enveloppe externe jusque dans son moi le plus profond, nous avons pu faire une approche holistique de ce dernier sans préjugés et sans idées préconçues. un traitement , c’est un tissu en confection sur la table du couturier;C’est un sculpteur qui utilise son marteau , ses ciseaux, son maillet et son rifloir pour faire sortir de la pierre brute une œuvre admirable, digne de regard. Voilà ce qui rassure le patient et procure au médecin la satisfaction d’un travail bien fait.
Rony jean-Mary,M.D.
Coral Springs ,florida,
Le 24 avril 2022