Le conflit en Ukraine

La menace de l’utilisation d’armes nucléaires par Vladimir Poutine a capté l’attention de chaque individu du monde, effrayé de la conflagration éventuelle à une échelle continentale et les effets nocifs sur l’environnement et même notre survie sur terre. Cette offensive militaire amorcée sous le prétexte de sauver les vies humaines des Russes persécutés par un régime Nazi en Ukraine avec la particularité d’un président juif, s’aligne à une longue liste de mésaventures de potentats armés jusqu’aux dents qui posent une action parce qu’ils le peuvent, tant pis qu’ils piétinent la vérité ou qu’ils manipulent les faits. L’adage « la loi du plus fort est toujours la meilleure » n’est pas une fable mais une observation froide de realpolitik ou les intérêts géopolitiques priment. Cette loi s’applique aux forces de l’Occident et celles de l’Orient, de celles de l’hémisphère septentrional et méridional.

Cette maxime nous permet de distinguer les analyses critiques des exclamations de critique émanant aussi bien des éminents mordus de la politique que des menus fretins, tous concernés par les conséquences à court et à long terme de cette guerre. En dépit de l’atmosphère d’hyperpolarisation, une analyse critique, objective est possible, nécessaire, compte tenu des enjeux.

Une invasion d’un pays par un autre ne constitue pas un phénomène nouveau de mémoire récente. Nous l’avons vu entre l’Iraq et le Koweït, les États-Unis et l’Iraq, L’Arabie Saoudite et le Yémen, l’invasion de la Crimée par les troupes russes, l’intrusion des forces chinoises dans le territoire disputé du Kashmiri, etc. Dans chaque cas, un prétexte fut utilisé pour la justification de l’agression. Dans le cas de l’Ukraine, on observe avec exaspération le groupe hétéroclite faisant écho avec le récit de Poutine. Ce mélange comprend l’extrême-droite ici aux États-Unis et ailleurs, la gauche et d’autres individus aisément manipulés par la propagande complotiste.

L’extrême-droite voit en Poutine une sentinelle pour le maintien d’une tradition homogène européenne, ripostant contre les percées aux urnes des groupes autrefois marginalisés et la nouvelle vague de mesures prises en faveur des minorités. « Cancel culture » remplace le communisme qui jadis attisait une répulsion féroce parmi les membres de l’extrême-droite. On veut protéger la pureté de la race. La Russie est un pays 100% européen et ces racistes admirent Poutine. Donald Trump récemment a qualifié sa décision comme un acte de génie.

La gauche regarde les évènements à travers un biais historique. La Russie ou plus précisément l’URSS dans le temps était censée représenter un bouclier contre l’impérialisme capitaliste, même si l’URSS ne fut autre qu’un empire impérialiste. L’épopée d’octobre 1917 nageait dans une adulation des membres de la gauche. L’URSS  n’existe plus et sa remplaçante, la Russie, jouit d’une sympathie nostalgique. La gauche, avec véhémence, critique les méfaits de l’Occident mais garde sous silence ceux commis par les chefs de l’autre côté. Ainsi les griefs de Poutine trouvent des oreilles.

Y-a-t-il un seul coupable dans ce jeu macabre qui menace nos vies ? La réponse est non avec une majuscule. Relatons les faits historiques. Poutine avait déclaré au monde entier que la dissolution de l’URSS fut une grande injustice, une erreur énorme. Il avait prouvé son style en pulvérisant la Tchétchénie en utilisant le prétexte de terroristes musulmans. Remarquons que cette zone est peuplée d’un groupe ethnique au teint basané et assujetti aux discriminations. Cette destruction massive de cette zone s’est passée au su et vu du monde entier. Poutine a fait une césure nette avec l’idéologie marxiste. Il a permis aux oligarques de dilapider le trésor public et de les utiliser comme prête-noms pour l’acquisition de biens luxueux. Ces oligarques ont été les bienvenus dans les sociétés de l’ouest et on ne posait point de questions sur la provenance de leur immense richesse ni de la légalité ou de l’éthique de ces multiples transactions en cash. Londres, NYC, Paris, Milan, la côte d’Azur et autres ont tous profité des excès de ces nouveaux milliardaires. Un astucieux, toujours aux aguets comme un guépard, il pose des pions au fur et à mesure pour étendre son influence dans les conseils d’administration aussi bien que sur le champ de bataille. Poutine a embauché plusieurs anciens politiciens européens dans les entreprises russes, allant de Schröder à Fillon et ici aux États-Unis, il a semé beaucoup d’argent vers les lobbyistes. Ainsi il a pu obtenir des contrats mirobolants pour fournir le gaz aux européens et on faisait la sourde oreille contre ses abus envers ses opposants. Militairement, il collait les pièces du puzzle. Poutine prenait des mesures pour reconstituer l’ancien empire qu’il convoite de réorganiser. La Géorgie et ses voisins ont payé un prix cher pour oser de penser qu’ils pouvaient évoluer par-delà sa sphère d’influence. Il a envahi la Crimée sans payer un prix cher car la réaction fut timide du camp de l’OTAN. Idem avec son intervention en Syrie après le fiasco d’Obama qui n’a pas puni Al Assad pour avoir tué des innocents avec des armes chimiques malgré la menace qu’il lui avait donnée. Il a probablement conclu que l’Occident était en retraite, repu de ses mésaventures à travers le monde et en état d’indigestion. La débâcle de Biden en Afghanistan  peut-être  lui a laissé l’idée que le moment était venu d’agrandir son territoire.

L’argument que Poutine avance de la limite de l’avancée de l’OTAN, valide qu’elle soit, ne justifie pas l’invasion. Sur cette question de l’OTAN, il ne faut jamais oublier que l’adhésion à ce groupe est recherchée par les pays qui furent sous le joug de l’URSS à cause de la sévérité et de la rigidité du système soviétique. N’oublions pas les tanks qui envahirent la Hongrie en 1956 et  la Tchécoslovaquie en 1968. Pourquoi est-ce que les pays baltiques en ont profité aussitôt que possible tandis que les pays de la Scandinavie qui n’ont jamais connu la rigueur du système soviétique n’ont pas eu cette même réaction ? L’invasion de l’Ukraine a causé des remous dans ces pays qui maintenant osent penser l’impensable et énoncer l’indicible d’hier : devenir les nouveaux membres de l’OTAN. Mentionner ces faits n’est pas du tout de la russophobie pas plus que de dire que l’intervention américaine en Iraq était malhonnête et l’assassinat de Lumumba par la CIA était  crapuleux ou que le traitement de notre pays par notre grand voisin est injuste traduise de l’américanophobie. Les faits sont les faits.

La réponse des pays à l’invasion est très intéressante et révèle l’importance de la géopolitique ou d’intérêts nationaux. La Russie ravitaille l’Europe en gaz et en pétrole. Elle exporte du blé, du pétrole et des minéraux comme le nickel aussi bien que les armes. Il ne faut jamais minimiser qu’elle possède un arsenal nucléaire supérieur en nombre à celui des États-Unis. Tandis qu’une grande majorité de pays à l’ONU ont voté contre l’invasion de l’Ukraine, peu d’entre eux font partie de l’embargo qui sévit contre la Russie. On a mentionné que parmi les pays populeux, seul l’USA participe à l’embargo. Le Brésil, le Nigéria, l’Inde, l’Indonésie sont absents. On peut s’imaginer que les intérêts commerciaux priment. La Chine a exprimé son assentiment avec la Russie dans un accord signé avant les jeux Olympiques. L’Ukraine, en revanche, le grenier de l’URSS dans le temps, exporte beaucoup de céréales aux pays africains. Comme on dit en anglais, « politics make strange bedfellows » (la politique engendre d’étranges alliances). Remarquons qu’Israël, un allié solide des américains prend une attitude neutre ; notons que beaucoup des oligarques entretiennent des relations étroites avec ce pays à cause de leur origine. La possibilité de carence d’aliments dans certains pays comme conséquence de cette guerre, demeure une menace troublante.

Le mouvement de réfugiés d’une zone à une autre dans les trente dernières années et leur traitement par la communauté internationale constitue le constat de deux poids, deux mesures. Suivant que l’on soit un émigré haïtien ou africain, on recevra le refus mais les autres groupes ethniques jouissent d’un autre traitement. La pyramide raciale se manifeste toujours ; on aura beau la chasser de la pensée, elle revient inlassablement au galop. Les émigrés ukrainiens sont accueillis à travers l’Europe à bras ouverts. Les images de tueries d’innocentes victimes, de destructions de maisons et d’un hôpital, similaires  à d’autres dans les conflits précédents de l’armée russe en Syrie, Tchétchénie, par exemple évoquent une réponse différente.  Le traitement humain de ces refugiés est une attitude normale. Le traitement des autres groupes ethniques est anormal. De temps à autre, des vidéos assez inquiétantes circulent qui montrent des étudiants africains repoussés par les policiers ukrainiens ou polonais ; cela coexiste avec des démentis du prélat polonais. Quelle est la vérité sur ce sujet ? Peut-être une combinaison des deux, se basant sur les précédents historiques. C’est fort probable que de tels épisodes aient lieu, isolés peut-être, mais le maltraitement des étudiants noirs aux mains  de leurs congénères en terre étrangère, à l’est ou à l’ouest, au nord ou au sud, résonne toujours comme une rengaine.

Il serait une quête insensée de deviner l’issue de cette guerre fratricide, car les deux pays partagent une culture similaire, sinon que de douter que rien de positif en découlerait. Après une telle destruction du territoire ukrainien, la neutralité de ce pays offrirait-elle une solution acceptable pour ces citoyens ? Il reste du domaine des choses possibles que l’esprit revanchard prendra le dessus et ce sera une zone de conflit pour des années à venir. Poutine a fait la gageure d’une guerre à victoire-éclair pourtant il  s’embourbe au jour le jour. Il possède un arsenal nucléaire et ceci établit toute la différence et explique la réticence de l’OTAN d’y participer. On doit se demander si Graham Greene était toujours vivant  quelle nouvelle intrigue inventerait-il pour Les Comédiens ?

  

Reynald Altéma, MD.

 


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