La dette de l’indépendance,
un crime contre l’humanité.

En 2019 dans un éditorial contre l’obscurantisme de Jean-Pierre Boyer, (ici) j’exhortais, « Un vrai patriote en charge de notre destinée devra un jour demander à la France de payer une indemnité pour les millions d’esclaves torturés, tués, blessés, exploités sans rémunérations comme crimes contre l’humanité à condition que l’argent ira pour la construction du pays et non dans des comptes secrets en Europe ou ailleurs ». Comme on pourrait dire chez nous, nous attendrons jusqu’au jour où la poule aura des dents pour assister à une telle réalisation de notre vivant, si on se croise les bras.  Cependant 15 ans plus tôt on ne croyait pas qu’un Noir pourrait accéder au poste de président ici aux États-Unis durant notre existence.

Ce sujet, toujours à fleur de peau chez les patriotes, vient d’être disséminé urbi et orbi avec le bruit tonitruant du tonnerre quand le NY Times en grande manchette publia très récemment une investigation sur le geste crapuleux d’une indemnité imposée aux anciens esclaves pour l’audace d’avoir brisé les chaines d’un système de servitude qui avait perduré pendant des siècles. Ce règlement de comptes, unique en son genre, fait bouillir le sang en y pensant. Nous avons du mal à imaginer une situation dans notre vie où une brute nous forcerait de payer une amende après l’avoir vaincue. Nous avons encore plus de mal à imaginer qu’un leader comme Dessalines ou Christophe aurait accepté un tel ordre.

Le reportage en question énonce dans les moindres détails les étapes de cet accord, la double dette acceptée car le pays ne possédait pas les moyens pour débloquer le premier paiement sans s’endetter auprès d’une banque française à un taux usurier. Le roi Charles X avait pris cette mesure sachant très bien qu’il étouffait le pays. [Un livre publié l’an dernier, Haiti-France, les chaines de la dette par Marcel Dorigny servira de source inéluctable sur la mission du comte Mackau venu pour diriger cette extorsion. Des EU, la façon la plus rapide d’obtenir ce livre, c’est sur le site fnac.com].

 

L’idée, l’échelle de la dette demeurent une absurdité. Napoléon à court d’argent pendant notre guerre d’indépendance avait liquidé une grande superficie pour une bagatelle au pays qui deviendra la république étoilée tandis que notre territoire, d’un espace infinitésimal devrait payer moult rubis sur ongle. Cette transaction enrichit la France qui gagna sur un papier ce qu’elle ne put conquérir sur le champ de bataille. Elle permit aux courtiers des deux côtés  de l’Atlantique de voir des jours de vaches grasses. Nos paysans sur le dos desquels le gouvernement prélevait les paiements recevaient comme récompense le droit de vivre pendant toute leur existence dans la saison de vaches maigres et sans aucune opportunité d’épanouissement. Le hiatus des jours d’espoir n’a duré qu’une période assez courte ; les esclaves se sont battus en hommes vaillants et en retour reçurent un cadeau amer de poltrons en charge, d’affairistes véreux en allant de Charybde en Sylla. La société haïtienne, peu de temps après l’euphorie de janvier 1804, subit des secousses déroutantes à cause de la lutte intestine des chefs.

Très tôt cette jeune nation connut le déconfort de l’albatros de la désunion noué autour de son coup. Chaque décision contre son bien-être augmenta l’intensité de cette torture. La France, sans pudeur, jouissait d’une tirelire plus enrichissante qu’une poule pondant des œufs en or et une fois habituée à une telle formule facile inventa une autre. Ainsi les banquiers avares français offrirent au président Salomon une arnaque sous la forme d’une aubaine : une banque nationale. La réalité fut brutale, il n’y avait rien de national mais beaucoup de règlements usuriers si lucratifs que cette banque, loin de permettre la croissance économique locale, finançait la construction de la Tour d’Eiffel. Haïti, ce pays que les autres se complaisent à avilir, à chaque occasion permet aux autres de s’enrichir à ses dépens. Préoccupé à payer une dette massive, il restait peu pour bâtir une infrastructure. Le peu présent n’était pas bien administré malheureusement. En réalité les soulèvements intermittents avaient des mains étrangères dans le fond. Les armes fournies pour mettre de l’huile au feu se donnaient avec des conditions spécifiques et jamais dans l’intérêt de la société. La cupidité de la classe marchande antinationale facilitait les combines. La soif du pouvoir, une vraie maladie du terroir, contribua à créer une catastrophe taillée sur mesure.

D’une part Haïti  en affaiblissant Bonaparte qui cède la Louisiane à vil prix permet aux États-Unis d’acquérir de vastes territoires fertiles et une accélération de croissance économique. D’autre part ce même pays augmente les profits d’une banque française prétendant fonctionner comme une entité nationale mais chargeant un frais au gouvernement pour chaque dépôt et tirage ! Naturellement, la France, ce pays  des grands philosophes, des grands penseurs qui avait inventé la notion de liberté, égalité, fraternité, ne nourrissait aucun appétit pour mettre en pratique ce qu’elle prêchait à haute voix, non quand cela entraverait les profits. Les Voltaire, les Rousseau de l’hexagone auront beau décrire les droits humains mais ils resteront en silence sur la question de l’esclavage qui renflouait les caisses de leur société et leurs poches.

Les politiciens, banquiers français ne ressentaient aucune gêne à imposer des termes aussi onéreux les uns que les autres au fil des temps car le gouvernement a eu à faire d’autres emprunts. La société française qui cite le cas de l’échec d’Haïti comme avertissement aux desiderata d’indépendance de certains territoires d’outre-mer se garde bien d’enseigner l’aventure de la France à St-Domingue à ces élèves jusqu’à présent. Point besoin de dire que les révélations du NY Times se butent à un quasi-silence de la presse française d’habitude si bavarde et si prête à opiner sur les nouvelles sensationnelles.

La restitution de chaque denier payé par Haïti devra se faire. Nous avons comme exemple la restitution des biens des Juifs volés par les Nazis. Nous avons comme incitation le mouvement woke qui s’éparpille à travers le monde et les yeux des Africains qui s’écarquillent chaque jour en observant qu’eux aussi subissent le même sort de la part  d’un hégémon qui contrôle leur système bancaire. Ce jour viendra où la corruption de nos dirigeants cessera de tracer la donne et le bien-être de la société aura la priorité.

Cette indemnité, acte sordide, ne mérite d’autre qualificatif que de crime contre l’humanité.

 

 

Reynald Altéma, MD.


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