LE PLATEAU CENTRAL SERVI SUR UN PLAT D’ARGENT.                                

Je suis à Hinche, assis sur la vielle table où ma  mère et ma tante, les soirs, me faisaient réciter autrefois  les leçons du lendemain.

 Au matin, les même leçons du maitre, on les  repassait  une autre  fois avant de partir pour l’école du village ou vers le  vieux lycée que feu le président Estime avait fondé en 1949. Ce lycée, depuis reconstruit, porte  pourtant encore son nom. C’était le plus beau cadeau qu’il avait pu donner  à cette ville historique,  plusieurs fois centenaire, de retour de Bélladère  qu’il venait de construire et d’offrir en échantillon  de modernité,  de symbole de progrès  à la ville voisine d’Elias Pinas campée de l’autre coté de la frontière. En arrivant à Hinche ce jour-là, il fut tellement impressionné par le discours du maire de la ville, Maitre Vaudré Bellot,  qu’il décida d’y ouvrir un lycée au profit de la jeunesse du centre. Il allait du coup libérer de l’ignorance toute une zonne empêtrée dans l’obscurantisme, toute une  terre assoiffée de savoir. Car,  Ouvrir une école dit-on toujours, c’est  comme fermer une prison. Et  si les plantes se forment par la culture, l’homme quant a lui, c’est par l’éducation qu’on le transforme. Beaucoup  disaient à l’époque que ce n’était pas la peine de construire une institution secondaire, si  loin et si haut dans les montagnes  du centre d’Haïti, quand d’autres villes côtières n’étaient pas encore dotées de leurs propres facilités d’études  secondaires. Vers la fin de Septembre, quelque mois après le passage du président Estimé dans  la cite de Charlemagne Péralte, l’idée tardait encore à se matérialiser. le président Estimé dut mettre  les pieds à terre pour qu’un local fût trouvé et que le lycée pût ouvrir ses portes.  Même parmi les plus aisés de la ville, ceux-là  qui pouvaient envoyer leurs enfants étudier ailleurs, à Port-au-Prince ou au Cap Haïtien, la réticence à un tel projet était de plus en plus marquante. Les enfants de l’arrière –pays, les fils des paysans,  généralement peu considérés comme faisant partie intégrale de la société Haïtienne, n’avaient pas besoin d’un lycée voire d’une éducation de qualité, croyaient  souvent  certains. …

Et si je dis tout cela en introduction à mon pèlerinage quasi annuel  vers  Haïti, cette terre  que je chéris plus que toute autre chose au monde, c’est pour rappeler comment dans cette Haïti, notre mère à tous, il y avait toujours une distinction  à dessein entre les gens dits de la ville et ceux de l’arrière pays, généralement considérés comme étant des  gens d’en dehors ou des campagnards. Cette mentalité qui pré-date notre indépendance  et qui prévaut encore dans la façon de gérer de nos dirigeants demeure, malheureusement,  et à  quelques exceptions près, la toile de fonds de toute politique à l’échelle gouvernementale. Elle constitue aussi l’une des sources  de notre sous développement et de notre enlisement. Comment expliquer que les archives de la république gardaient séparés,  jusqu’à récemment encore, les actes de naissance des enfants  paysans de ceux des citadins d’un même pays ? Je pourrais prendre des et des exemples pour montrer comment la centralisation a fait du tort à nous tous. Ajoutons à cette incohérence le fait le fait  que lorsque le tremblement de terre du  12 janvier 2010 détruisit toutes les infrastructures  de Port-au-Prince, il n’y avait  même pas  un  autre aéroport de second  tonnage pour accueillir l’aide humanitaire que les autres pays de la terre voulaient nous apporter.

 Je ne voulais  certainement pas parler d’Estime dans mon article d’aujourd’hui. Mais c’est grâce à sa vision de ce qui fait la valeur d’une nation que des milliers de fils de l’arrière –pays ont pu avoir une éducation solide et servir brillamment tant ici qu’ailleurs en diaspora. C’est aussi grâce à cette vision sans bornes que, reprenant le modèle du pont Vincent jeté sur la rivière Aguamucho (guayamuc) et séparant  les deux rives de ma ville, qu’un pont de la même envergure put être  jeté sur la rivière de Jérémie  pour servir au désenclavement du Sud-ouest d’Haïti. N’est –il pas ce même Estimé qui construisit le Bicentenaire de Port-au-Prince que le monde entier regardait avec admiration et que même le sanguinaire Trujillo allait prendre en exemple pour construire à son peuple son propre bord de mer de l’autre cote de la frontière ? malheureusement, nous ne sommes plus un peuple bâtisseur de civilisation et de choses durables. Nous préférons aujourd’hui aller les regarder de l’autre coté de la frontière et revenir raconter ce que nous avons vu là-bas. Quand le général  De gaule disait qu’il faut être d’un grand esprit, d’un esprit noble,   pour être animé de sentiments patriotiques, il semblait dire  en filigrane que les petits esprits sont plutôt préoccupés  par les choses matérielles, les choses périssables du ventre et du bas ventre, pour parodier feu le professeur  et historien Rémy Zamor  de regrettée mémoire..Nous avons  eu trop souvent  des dirigeants à la merci de l’étranger qui nous dicte sa loi et nous ordonne ce que nous devons faire. Ce même étranger, toujours étranger à nos problèmes, qui ne va toujours nous offrir que des miettes de ce qu’il régurgite  de sa table , et nous laisse attraper sans honte et sans fierté. Quand nos dirigeants sont au pouvoir, ce n’est pas  en temps que serviteurs du peuple, et gestionnaires de la chose publique, ni pour rendre acceptables les conditions de vie de  nos concitoyens .C’est plutôt pour se servir eux-mêmes et servir leurs  intérêts mesquins. Je dois avouer que j’ai été désagréablement surpris, en atterrissant à l’aéroport internationale du Cap-Haitien l’autre jour, de voir que ce qu’on appelle un aéroport là-bas. Ce n’était fait que de trois hangars dont aucun n’était de la taille d’une grosse guildive que j’ai croisée sur la route me conduisant à Hinche à partir de la nationale #3. La petite salle toute exigüe qui reçoit les débarqués ne pouvait point contenir tous les passagers d’un avion rempli à craquer ; Et l’on a du attendre sous le soleil que les premiers arrivés soient d’abord servis avant que nous autres, nous ayons pu rentrer à l’intérieur. Heureusement que madame la pluie ne s’était pas mise de la partie. Car nous aurions tous connu une bonne trempée ce matin-là.  Quel affront au roi Christophe  dont, du  haut de la citadelle, l’esprit et la présence dominent en permanence  sur toutes choses qui viennent du Nord !! . On ne nous donne que ce que nous semblons mériter. Surtout lorsque nous sommes prêts à toutes sortes d’acrobaties reptiliennes plutôt que de nous tenir droits sur notre colonne vertébrale. Quand nous sommes incapables de penser et d’agir pour nous-mêmes, les autres le font toujours à notre place. Et c’est triste de dire que la dimension d’un don est toujours proportionnelle  au mérite de celui à qui on le fait. Heureusement qu’en laissant la métropole du Nord, et déjà à quelques kilomètres du centre ville , j’allais être plutôt émerveillé par le beau paysage qui s’étale en bordures de la route, offrant une vue et un spectacle à couper le souffle à tous.

En escarpant le morne Gand-gilles, J’ai du m’arrêter plusieurs fois pour des prises de photo, tellement le climat est frais, clément, la nature pittoresque, et invite à respirer à pleins poumons l’air frais qui se dégage des mornes avoisinants. La route qui passe entre les montagnes, depuis la grande Rivière du nord, jusqu’aux portes du Dondon, est un cadeau de Dieu aux nègres fiers et épris de liberté et d’Indépendance que nous sommes. En y passant, on semble s’imprégner  de ce souffle nouveau  qui ajoute encore plus de   jours  à l’existence. Faisant partie de l’unique tronçon de la nationale  #3  non encore bitumée, et qui est  un don, il faut le dire, de la communauté Européenne, il y avait au morne Grand-Gilles des barques pleines de fruits, que des camionneurs stationnés en relief de la route, les uns en sens inverse, achetèrent par dizaines  en descendant  vers le Cap. Encore quelques Kilomètres, et la route commence. C’est une route merveilleuse  construite depuis Saint Raphael jusqu’à Mirebalais en passant par Pignon, Hinche et Thomonde. Hinche est le chef -lieu du plateau Central dont une partie sied dans le nord du pays. Sur ce ruban d’asphalte  s’étalant  à perte de vue, tantôt en ligne droite, tantôt en ligne courbe ou  sinueuse, se dressent des deux cotés de la route, ça et là,  des arbres fruitiers, des églises, des palmistes, des fleurs de toutes sortes, des écoles , de vaillants laboureurs qui font tirer leur charrue par des bœufs jusqu’au soir, enfin  des fermes  qui  s’étendent  jusqu’aux pieds  des montagnes  aux silhouettes majestueuses, et  qui invitent à explorer le firmament dans sa grandeur aux dimensions infinies. Quelques années de cela, revenant du Cap Haïtien, j’ai  dormi à coté de la route lorsque  la rivière brouhaha  de Saint Raphael était en crue et  n’offrait pas de passage pendant toute une nuit. Ce weekend écoulé, bercé par le vent frais qui effleurait mon visage, et joint au calme serein d’un après –midi d’après la pluie,  j’ai  été plongé dans un doux sommeil jusqu’aux parages  de Hinche où, à distance, je pouvais contempler le clocher de l’immaculée conception, cathédrale imposante, réplica de la chapelle Sixtine du Vatican, perçue dans le lointain  tel un phare invitant à une visite vers  la ville plusieurs fois centenaire. . Haïti est un beau pays. Ce sont les dirigeants qui sont insouciants. Le centre est un joyau de contrée .Belladèrre et Saut d’eau sont des lieux à visiter. Vingt pour cent( 20%) du territoire national sont dans le plateau central  que se partagent seulement entre 5% à 8% de la population du pays. Pollution  ne connait pas ! Et les gens y vivent bien, malgré le cout de vie élevé à l’échelle nationale. Ils sont accueillants et hospitaliers.  Bassin Zim, les grottes du Dondon, l’ancienne église catholique de Hinche, la première de toute l’Amérique, érigée sous Nicolas Ovando ; des hôtels, des plats locaux bien exquis, des mangues succulentes, voila toute une recette de  bonnes choses dont je commence  à me régaler pendant mon doux séjour  à Hinche,  et que j’invite tous les vrais amants de la nature  à venir découvrir. Et si vous avez la chance de dormir un soir, sous un toit en tôle , ou près d’une de ces maisons anciennes dont le toit est tôlé,   pendant qu’il pleut au dehors, que gronde l’orage, et que vos fenêtres sont ouvertes, vous assisterez au plus formidable de tous les concerts  jamais tenus . Quand vous penserez à Haïti la prochaine fois, le plateau central est l’endroit idéal à visiter.

Rony Jean-Mary, M.D.
Hinche ,
Le 30 Mai 2022.

 


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