ESSAI.

LE SIèGE.

Notre fin limier, Henri Daniel, HD, une fois eut l’idée de rigoler  en écrivant un calembour dérivé du mot siège. Il notait que ceux ou celles qui occupaient un poste public y allaient pour siéger. Donc le jeu de mots « aller siéger » s’incrusta dans son esprit. De fil en aiguille il créa une nouvelle locution, « aller-siéger ». Cependant son diminutif, « a-siéger » parut plus sexy. Ainsi naquit l’expression « a-siéger » pour désigner l’activité de ceux et celles qui briguent une fonction publique ou simplement pour décrire l’activité en pleine fonction.

            En revanche, ceux ou celles qui subissaient les décisions des fonctionnaires publics n’avaient pas de siège. Il voulut créer le néologisme « asiège » mais se rendit compte  qu’il existait déjà le mot assiéger qui rimait avec « a-siéger ». N’étant point un académicien et ne voulant pas remuer ciel et terre pour une  simple  peccadille, il choisit le verbe assiéger, mais pensa à changer l’orthographe, quitte à trouver une expression appropriée.

            Toujours le petit malin, il inventa cette phrase comme l’épigone d’un intellectuel, « Dans le monde actuel, le système démocratique marche par excellence lorsque des hommes et des femmes se lancent dans le forum public dans l’exercice de leur fonction en allant siéger, ou ‘a-siéger’. Tandis que la population, rassurée de ce paradigme, voulant s’assurer du succès de ce système de siéger, sera assistée et donnera son assentiment. L’assurance de siéger ou « ass-siéger ». Donc il réussit dans sa mission en parrainant un doublé.

            Il partagea cette remarque avec un ami de notre terroir qui le répéta et les expressions « a-siéger » et « ass-siéger » se propagèrent comme trainée de poudre. Le pourquoi de cette réaction reflète une particularité de notre histoire. L’idée de coopération entre gouvernants et gouvernés restent dans le domaine de l’utopie. L’entente entre les gouvernants et l’harmonie entre les gouvernés résident dans le territoire de l’imaginaire ou de rêve-creux. Les consonnes « as-sié-ger » provoquent une réaction viscérale, réveillant des souvenirs datant de la colonie où à travers le temps, maréchaussée d’abord, et ensuite, choukèt lawouse, makout, furent des instruments de soumission de la population au service de la classe dirigeante. Et comment ?

Peu de mots simples incarnent une source de conflits sociétaux sous plusieurs formes. Le siège du pouvoir dans le sens propre du terme aussi bien que dans le sens figuré désigne du doigt l’épicentre d’une cité. Le pouvoir  que l’occupation de ce siège  confère, fortifie les convoitises. Tel un nœud gordien, cet aimant attire ceux qui désirent régner. Parler de ces consonnes signifie crever un abcès. Cette société a toujours absorbé la division sociale comme un sport national. Tantôt se servant de cocardes comme mascottes, soit le rouge et le blanc parfois. Parfois se servant de l’épiderme ou de l’origine sociale et d’autres fois de l’origine géographique, mais toujours d’une excuse pour manipuler des armes, blanches ou à feu, vers une lutte fratricide.

            La mobilité sociale, lente comme une tortue, le genre, déterminent la participation dans le groupe des élus. Ces distinctions très rigides originalement, grâce à l’évolution  du temps, sont maintenant  plus flexibles. On  assiste à l’ascension des membres des écartés, sans cependant observer une différence notoire  dans le comportement et la gouvernance.

            Au fait, l’affiliation au groupe des « a-siéger » ne confère point a priori le titre de noblesse de caractère. Elle nous permet cependant de distinguer les poltrons des vaillants, les intègres des scélérats, les orateurs des balbutiants, les visionnaires des faux prophètes, les patriotes des viciés, les sages des impulsifs. Elle met en exergue les conflits entre les membres de cette confrérie. Ceux-ci, trop concernés de s’enrichir que d’enrichir la population accélèrent par conséquent l’enracinement du ressentiment de cette population et l’approfondissement de l’abime entre les deux groupes.

            L’occupation d’un siège de responsabilité publique à chaque niveau, administratif, juridique, législatif, exécutif, policier, de bas en haut, octroie un pouvoir avec une influence existentielle sur le citoyen moyen. Derechef, l’occupant de ce siège ne regarde forcément pas sa position comme synonyme de dédication de service au public pour sa sauvegarde et sa protection comme un acquis. La réalité malheureusement est que telle position de probité représente l’exception plutôt que la règle.

            Ce siège avec ses tentacules ubiquitaires qui devrait porter un effet salutaire est maintenant confondu avec la notion d’assaut contre une tierce partie. Dans un dénouement effroyable, un symbole d’autorité mandaté pour le rassemblement des membres de la société devient une cible, dans l’esprit de confrontation et de lutte contre l’agression portée envers la population. Naturellement une rétroaction s’ensuit et chaque camp monte au créneau dans un durcissement de position. Cette pièce de  théâtre basée sur l’exercice à outrance de la corde raide sans issue positive, bénéfique pour la société, se poursuit. Son intensité et absurdité dans une course vers l’abime où le gagnant perd, démontrent clairement  que les participants de cette course  abreuvent tout leur soûl d’une concoction titrée « qui perd, gagne ».

            La confusion passe à une vitesse supérieure car énoncer les consonnes « as-sié-ger » dans ce système sans spécifier l’orthographe pour distinguer deux phénomènes opposés ressemble à une démarche digne de Bouki tandis qu’on recherche la perspicacité de Malis. Pour ajouter du fil à retordre et rendre plus difficile ce casse-tête, le mot siège dans ces deux acceptions, confondues, où le fauteuil et l’assaut deviennent indistinguables, ce qui  rend inéluctable la découverte d’une solution pratique. Les paramètres d’une telle solution devraient  se reposer sur le compromis. Chaque camp aurait assez de miel dans la formule trouvée pour supporter le goût de la pilule amère et nécessaire à avaler.

            Le problème d’emblée s’appelle « compromis ». L’idée de ne pas tout gagner n’est pas acceptable de coutume. La tendance à tout perdre si on ne peut pas tout gagner est courante. Donc la question demeure la suivante :

            Comment réconcilier la noble tâche de gagner un fauteuil (siège) pour légiférer, administrer, protéger une société sans antagoniser une grande tranche de la société qui se sent sous un assaut (siège) ?

            Ce débat sera sujet de discussion sur la plage pendant le congrès.

(à suivre).

Reynald Altéma, MD.

 

 

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