Clémence Mashimbe, ou l’histoire d’une Haitienne perdue en terre Africaine.
L’histoire que je voudrais vous raconter aujourd’hui est bien celle de Clémence Mashimbe, une jeune Haitienne de 18 ans qui n’a pas revu son pays et sa terre natale depuis plus de cinquante ans, et qui cherche maintenant à retrouver un jour les survivants de sa famille perdue. Elle était la benjamine d’une famille de 7 enfants dont deux frères, son père, sa mère et ses deux sœurs. Elle avait dix huit ans lorsqu’elle laissa Haïti au tout début des années soixante dix pour des études de médecine en Italie. Elle habitait la commune de la croix des bouquets et plus précisément dans la plaine du cul de sac. L’Amérique à cette époque, n’était pas une destination privilégiée pour des études universitaires .Et même lorsque les échanges commerciales entre Haïti et l’Europe étaient à leur nadir, beaucoup rêvaient encore de la France, de Paris et d’une terre européenne où ils pouvaient envoyer leurs enfants achever leurs études, pour ceux qui pouvaient se payer un tel luxe bien entendu. J’ai toujours dit que la force de la famille Haïtienne est dans sa détermination a doter ses enfants , garçons et filles , sans exception aucune, d’une instruction solide capable de leur assurer cette mobilite sociale et cette amélioration de leur condition de vie. J’entends ici mon feu père qui disait que si les enfants ne dépassent pas leurs parents ,C’est la preuve que cette génération-là est une generation perdue. .
La sœur ainée, ma patiente, devait aussi partir pour les mêmes études dans le cadre d’une bourse qui leur avait été octroyée par le gouvernement d’Italie. Mais comme elle tomba enceinte dans les moments qui précédèrent son départ, elle décida de surseoir à son plan d’études en Europe. Ainsi, pour entreprendre ses etudes universitaires, allait devoir partir seule, vers un monde inconnu, la jeune Clemence, amputee desormais, du soutien de sa soeur avec qui elle pouvait tisser et renforcer des liens solides ou puiser la force et le courage necessaires pour affronter les impedimenta d’une telle vie , loin bien loin de son foyer. et de sa terre natale.
Sur le campus de l’université où elle prenait ses cours, elle rencontra un jeune Tanzanien, étudiant en médecine comme elle, avec qui elle étudia et qu’elle côtoya journellement. Elle finit par développer avec ce dernier une relation sentimentale .Au terme de leurs études en Italie, le jeune Tanzanien décida de rentrer chez lui, tout en proposant à la jeune Clémence de l’épouser au cas où elle déciderait de le suivre dans son pays d’origine. Clémence ne connaissait personne d’autres au monde. Elle avait le choix entre accepter la proposition du jeune amoureux, ou rester vivre seule en Italie, ou enfin rentrer chez elle en Haïti, rejoindre ses parents. Pour elle , il y avait un moindre mal, d’autant que son père fut décédé pendant son absence et elle pensait qu’elle allait avoir bien du mal à s’adapter au nouvel environnement familial bien différent de celui qu’elle avait quitté en s ‘en allant .Vivre ,c’est accepter la vie comme étant un mélange de raison et de passion, de sentiments et de devoirs dont le levier et son point d’appui sont à rechercher constamment. Chacun les saisit là où il les trouve, et les trouve quand il s’y attend le moins. Ainsi commença une nouvelle page dans la vie de la jeune Clémence qui allait s’éloigner davantage de sa famille, de son pays et de tous ces souvenirs que qui avaient bercé son enfance et son adolescence. Peut- être qu’elle n’avait pas tout à fait tort, vu que la jeunesse n’est jamais le moment de lésiner sur les moyens, et qu’une seule opportunité ratée ou saisie, peut parfois déterminer le cours de toute une vie. .C’est ainsi que Clémence Saint-fort ,cette jeune fille qui laissa Haïti toute seule à l’âge de 18 ans et qui, enhardie par ses premiers succès dans la vie, allait pousser à l’extrême ses gouts aventuriers …Mais une fois arrivée en Tanzanie pour travailler comme médecin aux cotés de son mari, elle se rendit bien compte que sa séparation d’avec sa famille d’origine allait être une rupture totale de tous les liens ,si minimes fussent ils encore, et qu’elle avait gardés avec celle-là. L’homme voulut qu’elle ne parle jamais plus de sa famille ni entretenir un quoi que ce soit de rapport avec ses parents. La dernière nouvelle qu’elle a eue de ses parents remonte à trente cinq ans. Des courriers et des courriers furent expédiés aux nombreuses adresses connues en Tanzanie, mais le mari intercepta les correspondances et les retourna toutes avec la mention que cette personne n’habitait pas à l’adresse indiquée. On finit par croire que Clémence était morte et qu’il n’y avait aucune chance de la revoir vivante. On a toujours dit que certains hommes de certaines cultures sont très autoritaires et qu’une fois la femme sortie de son milieu familial, elle n’est plus autorisée à garder un quelconque lien avec ses parents .Dans ce cas –là, la femme devient un objet sous le contrôle exclusif du chef du foyer, en l’occurrence le mari. S’agissait- il d’un cas pareil ? On ne le sait pas tout à fait… Par contre, on sait que certaines gens, dotés d’un extrême sens de territorialité, vont jusqu’à empêcher voire couper tout contact entre leur conjoint d’avec ses amis et ses parents….
Quand les lettres retournèrent en Haïti plusieurs fois de suite avec la même mention que cette personne n’habitait pas à cette adresse, la famille se dit en elle-même que Clémence devait être morte et qu’il ne valait plus la peine de continuer à lui écrire. Lorsque Plusieurs années se suivent ,et que le tourbillon de l’existence poursuit son cours, la mort, les déplacements et les changements de situation aidant, on finit toujours par admettre que l’on ne peut pas vivre dans une attente stérile indéfinie, et l’on reprend le triste et célèbre dicton ‘’ que la vie doit continuer malgré tout.’’.
Mais le passé et l’enfance sont comme des ritournelles que la vie nous imposent à chaque tournant de l’existence .On n’échappe pas a son passé, tout comme on ne peut échapper à son destin, à son avenir… Et malgré que tout semblait aller bien pour Clémence, il y avait toujours cette coupure qui la hantait, cette tranche de sa vie qui lui manquait grandement et sur laquelle elle revenait sans cesse de gré ou de force, sciemment inconsciemment ….. Cela arrive , dans la vie de chaque individu, de vouloir trouver le bout de fil qui s’est cassé et de vouloir chercher à en racoler les morceaux déchirés.. Le mari qui a toujours été une sorte de barrière pour les liens que Clémence voulait entretenir avec sa famille, après plusieurs années de vie conjugale, allait enfin passer de vie à trépas … Et comme Clémence n’avait jamais eu d’enfants, Elle se sentait soudain seule. Elle se tourna alors vers son passé pour en combler le vide. Un jour, pendant que le gardien de la maison parlait à Clémence, il lui demanda de quel pays elle venait ? …Ah répondit-elle, d’un pays lointain…et mes parents sont peut être tous déjà morts,ajouta-t-elle… Car, il y a longtemps que je n’ai pas eu de leurs nouvelles ‘’. Le gardien qui était plus ou moins éduqué, s’est mis à faire des recherches sur les saint-fort et sur les gens ayant des connections avec les Saint-fort d’Haïti.. Clémence trouva que ma patiente, sa sœur, était encore en vie et avait 83 ans .Elle a pu aussi retrouver sur face book une autre Saint-Fort ayant des connections avec sa sœur. C’est alors qu’elle décida d’appeler cette dernière pour s’enquérir des nouvelles de sa sœur. Cette nièce est très réservée au tout début et ne veut pas donner de son téléphone et de son adresse. Mais à force d’insister et d’envoyer des photos de Clémence, elle finit par obtempérer et par lui dire où elle habitait. Pour elle, l’inconnu à l’autre bout de l’internet était un parjure qui cherchait à lui soutirer de l’argent. On ne voulait pas trop raviver les cendres d’une histoire qui avait si mal tourné pour la famille. On était d’autant plus sceptique que l’on avait cru Clémence morte depuis belle lurette et l’on avait fini par faire, depuis des années, le deuil de sa personne. Un jour, il était 5heures du matin, heure de Miami, quand le téléphone sonna. Il était midi heure de Tanzanie et tout le monde se demanda alors ce qui devait arriver pour que quelqu’un soit au téléphone de si tôt. Généralement, quand cela arrive, c’est toujours une nouvelle qui ne peut pas attendre. Plus lamentable que réjouissante. On décrocha alors le téléphone pour se rendre compte que c’était un appel international .Qui était à l’autre bout du fil ? Clémence qui voulait parler à sa sœur, ma patiente. Dans une longue conversation/ bilan avec ses deux sœurs, elle expliqua tout de sa vie, de son passé au cours de ces cinquante dernières années, de ce qu’elle a réalisé et de ce qu’elle a pu devenir. La nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre entre les survivants de la famille Saint-Fort .Les deux frères, de joie exultes, malgré l’âge avancé, ont immédiatement acheté leur billet d’avion et ont pu célébrer leurs retrouvailles d’avec leur sœur perdue de plus de cinquante ans. La sœur ainée , ma patiente, n’ a pas pu faire le voyage à cause de son âge avancé. Elle est physiquement en bonne sante mais elle préfère attendre. Elle nourrit l’espoir de la revoir un jour ici avant de fermer les yeux sur ce bas monde. Clémence a enfin décidé de rentrer aux Etats-Unis où elle coulera au près des siens le restant de son existence. Déjà des démarches ont été entreprises et vont bon train pour son immigration vers les Etats-Unis. Si cela devait arriver un jour, ce serait l’une des plus belles histoires de retrouvailles jamais connues .Elle mettrait fin a une longue période d’angoisse tout en débouchant sur une nouvelle ère de familiarité. .
L’histoire est pathétique à plus d’un point de vue. Elle enseigne patience, endurance résignation, regain d’espoir et dénouement heureux pour tous. Chaque vie a une histoire à peu près pareille. Il y a toujours une facette cachée qui attend d’être dévoilée. Une épopée Qui recèle des leçons capables d’être utiles à tous. Des mères n’ont pas revu leurs enfants depuis qu’ils ont quitté le sol natal ; Certains ont péri en mer à la suite d’un voyage périlleux ; D’autres, réduits à des os desséchés, éparpillés le long d’un sentier, attendent d’être identifies. Tous gardent encore dansun coin de la mémoire collective , un souvenir qui ne veut pas mourir. Voila tout ce que j’ai appris de cette histoire
Et Si j’ai mis du temps à la raconter , c’est en souvenir de toute cette culture orale d’histoire et de comptes féeriques que l’on déclamait autrefois lorsque, les soirs, sous le beau clair de lune, on se passait des tiges de canne- à -sucre , ou de mangues sucrées ,dépendant de la saison, d’une main a l’autre, chantant et regardant en meme temps les jeunes filles jouer à la ronde ,avant de rentrer chacun chez soi et fermer la journée.
Rony Jean Mary,M.D.
Coral Springs ,Florida,
Le 21 Aout 2022.