Haïti: Nation  fragmentée, peuple aux abois. Intervention étrangère?
Oui,non,non,oui…

Le bruit qui a couru tout au cours de la semaine dernière, et un peu moindre cette semaine encore, était  l’imminence d’un retour des casques bleus dans le pays après qu’ils avaient laissé le pays voilà seulement quelques années.

Face à une  situation de plus en plus chaotique il devient évident que les autorités haïtiennes   n’ont pas les moyens  ni l’expertise adéquats pour juguler le mal et sauver le pays..

A cela il faut ajouter leur entêtement à vouloir être les seuls maitres à bord, malgré le déficit de légitimité, malgré les piètres résultats et un bilan catastrophique enregistrés jusqu’ici..

Sur la possibilité  d’un retour des casques bleus, voire  la probabilité de voir le pays retomber sous  la férule d’une force étrangère, il faut dire que les avis sont partagés.

Certains croient que le pays et les institutions sont trop faibles pour faire face au banditisme croissant qui a trop  angoissé  et endeuillé les familles haïtiennes  presque journellement au cours des douze à quinze derniers mois, et qu’une intervention étrangère est la seule porte de sortie face à une crise qui n’a que trop duré.

D’autres, brandissant un nationalisme à toutes épreuves, pensent  que le sol de nos preux ne devrait jamais être souillé  par aucune force étrangère de quelque nature que ce soit.         On était venu de trop loin, argue-t- on, de siècles d’esclavage et de servitude, pour que les descendants des marrons remettent sous la porte, et  dans l’humiliation, les clefs du pays à une force étrangère. Chaque fois que  l’étranger se mêle de nos affaires, avance-t-on, ce n’est jamais dans l’intérêt du pays. Et toujours c’est une gifle en plus  aux mannes de nos héros, de nos va nu-pieds et de tous ceux  qui  ont enfanté dans la douleur  cette nation qui a fait de nous des Haïtiens. …

La vérité semble être des deux cotés  du rideau de fer.  Et comme en bien d’autres choses, il n’y a pas de frontière verticale entre le bien et le mal, non plus de barrière  étanche entre la lumière et l’obscurité. On a vu des  concepts opposés souvent s’adosser mutuellement en faisant  la plus brillante démonstration de la véracité de leur thèse.  Et  toujours est-il que le résultat  n’est  ni dans la thèse ni dans  l’antithèse, mais bien dans la synthèse des idées contraires. Un grand conteur haïtien dirait tout simplement qu’à chaque fois que le jour s’allie à la nuit, c’est pour donner naissance à l’aurore qui est bien plus brillante que les deux.

Alors que les deux arguments se valent, il  reste une question fondamentale  à poser  aux protagonistes…Quelle en  sera l’issue ? Et  pour quelles  solutions  à court ou à long terme ?.  Sans pouvoir prédire de ce que va être l’issue à une telle crise, il est plus facile de théoriser sur les dénouements auxquels on a le droit de s’attendre. Les besoins fondamentaux de tout être humain sont au nombre de trois à cinq.    ce sont : les besoins vitaux et physiologiques, les besoins de sécurité et de protection, les besoins d’amour et d’appartenance, besoin d’estime de soi, besoin de se réaliser…etc…

Ce ne sont là que des théories qui, placées dans le contexte de la crise haïtienne, signifieraient des chances  égales à l’éducation, à la santé, à la rémunération juste par un salaire équitable pour un travail fourni  à un temps fixe.           Cela signifierait aussi que l’Etat soit à même de garantir la sécurité des vies et des biens , que les professionnels puissent vaquer à leurs activités, sans peur d’être séquestrés ou enlevés contre rançon , que les enfants aillent à l’école, que les gens puissent circuler librement à toutes les heures du jour ou de la nuit….

Avons –nous tout cela maintenant dans le pays ? La réponse est clairement non. Alors, disons que l’état est défaillant ou moribond.

Dans des circonstances pareilles, on comprend que le besoin de survie ait pu l’emporter chez quelques uns sur tout sentiment nationaliste dont ils puissent être épris. Car, c’est ici une affaire de :‘ « Primum vivere , Deinde philosophare. »                                              

QUELQUES CONSIDERATIONS  AU SUJET DES PRECEDENTES INTERVENTIONS ?.

Le pays a connu pas mal d’interventions étrangères au cours du siècle dernier et jusqu’à récemment. Elles ont toutes laissé des cicatrices douloureuses dans la  mémoire collective des Haïtiens. En1915, les paysans étaient condamnés aux travaux  forcés, privés de leur liberté, et réduits à des entités taillables  et corvéables. En 1994 et en 2004, ils sont  encore revenus, ramenant avec eux le cholera qui a fait des milliers de victimes et laissant derrière eux des orphelins de père qui n’auront jamais connu le visage de leur pro géniteur. Voilà que six années plus tard, ils parlent encore de revenir sur le sol national. On sent venir quelque chose même s’il n’est pas encore arrivé ou clairement annoncé. On dirait que chaque intervention militaire dans le pays porte en elle-même  les germes  d’une future intervention. En 1934, au départ des Américains, et s’appuyant sur une théorie de Gobineau qui voudrait que la clique à épiderme clair soit plus intelligente  et plus apte à gouverner, il s’était  constitué une aristocratie de militaires mulâtres   ainsi qu’une  bourgeoisie mulâtre et marchande dont les tenailles sur l’administration haïtienne  ne se sont que  partiellement lâchées avec l’arrivée de François Duvalier au pouvoir. Depuis les récentes interventions de 1994 et de 2004, ils dirigent le pays,  l’international avec les Etats unis en tète,  par Caïds interposés sans comprendre les spécificités propres à notre pays.…   Alors une  question toute corolaire aux deux questions  précédentes  est de  se demander, dans le cas où  une autre  intervention étrangère devrait  avoir lieu dans le  pays, pourquoi les missions précédentes avaient elles toutes échoué, et comment cette mission  va-t-elle être différente des précédentes missions ?

LES PREMIERES INTERVENTIONS DANS LE PAYS ON ĖCHOUĖ POUR LES RAISOND SUIVANTES. :                      

A)  D’abord, elles ont échoué parce que  l’agenda ou la mission que l’internationale s’était proposée n ‘avait  jamais été en conformité avec les aspirations légitimes du peuple Haïtien,.

B) Ensuite, de grands projets de développement tels que la construction de routes, de voies  de pénétration, la construction d’écoles et d’universités ,un réseau électrique national fiable, un système de communication adéquat,  le développement du tourisme par l’érection   de stations balnéaires  en relief de nos plages séduisantes, projets dans lesquels tout le monde pourrait se retrouver et qui seraient créateurs d’emplois, n’avaient jamais fait partie de l’agenda des forces interventionnistes. Ces projets  qui auraient pu  gommer certaines fissures sociales endémiques,  et réduire le fossé déjà béant entre les différentes entités et couches de la population, n’avaient jamais été à l’ordre des priorités. Bref, C’était toujours du saupoudrage qui n’avait aucune chance de subsister dans la durée.

C) Puis, les aspirations légitimes de justice sociale, de partage équitable des ressources naturelles ont été souvent ignorées ou sacrifiées au profit d’intérêts mesquins de groupes infiltrés dans les bonnes grâces des puissances étrangères, nommément des Etats Unis. 

 D) il y a eu de toujours, de la part des Etats-Unis, depuis les années 1930 avec le colonel Magloire, et récemment encore avec les élections bidons dont les résultats ont été imposés par la communauté internationale,un besoin de prendre partie pour ou contre un groupe donné de la société. Les Etats Unis adorent pratiquer ce jeu clanique et partisan pour s’assurer qu’ils sont encore là, par alliés interposés, lors même qu’ils ne sont pas visiblement présents sur le terrain. C’est la politique de la main cachée.   Haïti est trop proche du monde occidental pour être au cœur de cette  rivalité géopolitique outrecuidante dont ne bénéficie en rien le pays. Les gens se trouvent en proie à une confrontation permanente avec l’internationale, et sont obligés de descendre dans les rues à chaque fois, pour défaire ce qui leur a été imposé de force ou de gré. Cela crée dans le pays trop de frustrations et trop de destructions inutiles.

MAIS COMMENT EN SOMMES-NOUS ARRIVĖS LĀ ?

Il faut admettre que celui qui a réclamé l’intervention militaire en Haïti n’a pas la  légitimité requise pour une telle demande.  Car il n’a été ni élu, ni intronisé officiellement par celui qui l’avait nominé, en l’occurrence le président Jovenel Moise. On s’est demandé, et se demande encore, comment il a pu être en possession de l’ampliation ou feuille  de route que généralement le président remet au récipiendaire  au cours de la cérémonie d’investiture. Où l’a-t-il trouvé ?  Il a même des soupçons d’assassinat qui pèsent contre lui et qui n’ont jamais été élucidés. Néanmoins, cela ne l’a pas empêché, en tant que premier ministre de facto, de parler au nom du pays.

On se demande avec raison ce que sera le mandat ou la mission des prochaines forces  interventionnistes en Haïti ?

Viendront-elles, une autre fois, protéger les fauteurs de trouble, et apporter des solutions cosmétiques aux problèmes fondamentaux du pays ?

Viendront-elles désarmer les brigands et pacifier le pays?

Vont-elles  aider à la revitalisation des institutions du pays ?…ou laisser la débandade poursuivre son cours ?

Tout mandat qui n’est pas clairement défini ne sera qu’un pansement artificiel sur une plaie gangrenée au risque de voir celle-ci  s’envenimer davantage.

Le pays n’a pas sombré dans le chaos en une seule nuit.C’est le laxisme des Institutions d’état et la vénalité des services publics qui ont engendré le chaos. C’est l’internationale qui a permis l’arrivée de toutes ces armes  dans le pays sans dire un mot alors qu’ils ont un contrôle absolu de tout ce qui rentre ou sort du territoire national. Ils ont même un embargo  de ventes d’armes sur l’Etat Haïtien pour l’empêcher d’acquérir les armes et autres munitions nécessaires à la répression et à la lutte contre  le banditisme.

Alors, comment toutes ces armes ont-elles pu rentrer dans le pays ? Quel rôle ont joué les ports privés dans la dissémination de telles armes à travers le pays ?

Jimmy Chérisier  AKA  Barbecue , n’est que la pointe ou la partie émergée de l’Iceberg. Il n’a jamais voyagé hors du pays à ce que je sache. Quelqu’un d’autre a dû lui fournir ces armes de gros calibre qu’il exhibe  à tout bout de champs dans les artères de Cite Soleil et des zones avoisinantes. Mentionner nommément Jimmy Cherizier  comme personne responsable de toute la tragédie nationale, est une action hypocrite, un geste partial et partiel qui n’embrasse pas le problème dans sa totalité.  Pourquoi ne pas citer publiquement tous ceux-là qui sont impliqués dans le trafic des armes afin que tout le monde sache qui ils sont et où  ils résident ? Ce simple geste, si l’administration americaine  était sincère dans son action, aurait la vertu de les forcer  en cavale, de les arrêter  donc de les mettre  hors d’état de nuire.

J’ai dit dans une récente conversation  avec des collègues  que l’Administration Américaine est, ou bien mal informée, mal intentionnée, ou au pire de mauvaise foi envers Haïti. Je laisse aux lecteurs le soin d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

C’est une crise  montée de toutes  pièces, concoctée  par ceux-là qui ont toujours eu leur bouche à sucer sans arrêt aux mamelles de l’Etat ne laissant au reste des gens que du fiel et de l’absinthe. Ils l’ont incitée  pour  échapper à la colère de ceux qu’ils ont exploités et victimisés  depuis des lustres. Ils ont peur de la justice restitutive ou retributive  qui les attend. Alors, plus le cauchemar demeure, plus cela fera leur affaire..

Une intervention qui n’a pas sa genèse dans la justice sociale, le respect des droits humains, ni ses racines ancrées dans  la distribution équitable des biens et ressources de l’Etat, est vouée automatiquement à l’échec.

Car c’est la frustration qui porte les gens à descendre dans les rues et à vouloir tout détruire sur leur passage.

(Je ne parle pas ici de ceux qui ont violé brulé et incendié leurs victimes et qui utilisent leurs armes comme instruments de terreur pour garder la population dans la soumission).           

Combien de temps les forces du mal continueront-elles à entretenir  le chaos pour éviter de répondre de leurs actes criminels, des tueries, et des assassinats de masse, des enlèvements qui ont endeuillé tant de familles Haïtiennes, et ont poussé tant d’autres à l’exil involontaire ?  Le clan aux commandes  ne va pas non plus  de lui-même  s’en aller du pouvoir si le peuple ne  le force pas à la capitulation. Car il a peur de la vindicte populaire à la quelle il doit faire face un jour tôt ou tard. Ils espèrent qu’une intervention étrangère leur assurera la protection et la couverture dont ils auront besoin. Car il est certain qu’on ne peut  pas rechercher  des solutions à un problème avec  ceux-là mêmes qui en sont parties prenantes aux problèmes ou qui l’ont exacerbé.. 

Rony Jean-Mary, M.D.
Coral Springs ,  FL
Le 23 Octobre 2022


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