EXPLORER L’UNIVERS DES SANS-DOMICILE FIXE

À voir l’étendue des richesses qui existent dans certains pays dits  industrialisés ou développés, on serait enclin à croire que les gens y vivent en parfaite sécurité alimentaire et ont tous un toit par-dessus leur tête pour les maintenir chauds  et  à l’abri des intempéries. Ceux qui vivent en dehors de ces pays ou états, et de leurs lignes  de  démarcation  géographique ou frontières, y voient toujours une sorte de Canaan où coulent à flot  du lait et du miel. Certains entretiennent même l’idée qu’une fois rentrés de  pleins pieds  ou de pieds fermes dans la terre  étoilée ou dans  leur  pays de prédilection , les problèmes disparaitront  à tout jamais, et tout va désormais  arriver  comme par enchantement.. On comprend aisément les bousculades observées par devant l’ambassade Américaine de  certains pays  dont le nôtre, où tout le monde cherche un visa d’entrée pour échapper à la cruauté  du quotidien, un quotidien qui fait de plus en plus peur et qui  représente pour plus d’un un véritable enfer. …Et, Peu de gens se font  à l’idée ou  comprennent  qu’il  peut en être bien autrement certaines fois.

Car,  s’il est bien  vrai que les Etats-Unis  d’Amérique reste et demeure une terre d’opportunités pour tous, et où n’importe qui, quelle que fût son origine sociale, peut atteindre les sommets les plus élevés, à presque tous les niveaux, il n’en pas moins vrai que c’est une terre d’adaptation difficile quelques fois, et où existent aussi les misères les plus exécrables que l’on se puisse imaginer. Je parle en connaissance  de cause pour avoir travaillé, depuis plus de trente ans, avec l’une des couches les plus défavorisées de ce pays.

Je parle ici des patients psychiatriques et des malades  mentaux en général.

Les USA,  C’est un pays de contraste où les riches sont excessivement riches, et où les pauvres sont parfois plus pauvres que les pauvres des pays pauvres. Je parodie ici Mobutu Sese Seko , l’ancien dictateur du Zaïre , aujourd’hui république démocratique du Congo qui disait à la tribune des Nations Unies  qu’il existe dans les pays riches des pauvres qui sont bien plus pauvres que les pauvres des pays pauvres.

Il y a en fait  plusieurs pays et plusieurs mondes à l’intérieur  de ce « MELTING  Pot » que représentent les Etats –unis d’Amérique.  On aurait  crû, par moments, qu’il y en aurait assez pour tout le monde, pour que   tous ensemble, on vive  plus ou moins bien, et que la faim et la misère y soient  presqu’inexistantes  dans ce grand  pays aux moyens illimités…..

Pourtant, les écarts entre les classes sociales sont tellement béants qu’on se sent presque  gêné de devoir oser parler ou tout simplement aborder la problématique de la disparité des classes sociales  aux Etats unis. Le sujet est d’autant plus difficile que, ne fût ce que symboliquement, on n’a jamais tenté d’exorciser le mal de l’esclavage qui a conféré pendant des siècles , à un petit groupe de gens, la jouissance de tous les biens ,de tous les privilèges générés à  partir de l’exploitation éhontée d’un grand nombre de gens pour lequel le mot  réparation reste un vain mot ou tarde  encore à se matérialiser. Parfois, pour faire taire les revendications  de plus d’un, on préfère recourir à la culpabilisation des  plus démunis, comme s’ils étaient responsables de leur sort. Pourtant, il y a dans cette société une classe de gens  qui a travaille pour enrichir les autres alors qu’elle n’a jamais pu rien garder pour elle-même .Dans ce jeu de diabolisation de la victime et de sa culpabilisation à répétition comme on en voit dans les violences domestiques et conjugales, on réduit à néant les chances de parvenir à une société égalitaire de droit et de privilège pour tous. D’où la force du système à se réaffirmer, à s’adapter et  à perdurer malgré les protestations et les manifestations de toutes sortes. Nous semblons ici parler d’un pays autre que les états- unis, d’un pays que nous connaissons encore mieux, puisqu’il est notre mère- patrie, et restera à toujours pendant l’objet de nos premières amours.

Pourtant nous sommes bien aux Etats–unis d’Amérique où Il existe  une autre réalité à laquelle font face  chaque jour, des milliers de gens, anonymes pour la plus part, sans qu’une grande partie  d’entre nous, ( je n’ai pas dit la  grande majorité) vivant sous un toit  en permanence , et de manière plutôt  régulière,   ne  semble guère en être conscients.

Il s’agit ici du problème de ceux qui sont sans- abris ou sans- domicile fixe, qui pullulent les mêmes artères que nous empruntons tous les jours, qui nous côtoient sur les lieux de travail, qui prennent l’autobus et s’asseyent à coté de nous matin et soir, et que nous voudrions croire être comme nous ,sans que nous osions leur  demander comment  et où ils ont  été la nuit dernière ?. Le problème des sans abris  cache son vrai nom, son vari visage sous des connotations différentes. Il y avait en 2020 près de 553.000 personnes qui étaient  sans abri fixe aux états unis d’Amérique.67% d’entre eux, trouvaient refuge dans des centres d’hébergement alors que les 33% restants  étaient disséminés dans la nature.

Santa Cruz, en Californie est la capitale des sans abris aux Etats unis d’Amérique, soit 852.9 par 100.000 habitants.

Le problème  est viscéral voire systémique et se rencontre à presque tous les recoins de ce grand pays qui nous accueille tous..

 

Et QUI SONT- ILS LES  SANS-ABRIS
ou  HOMELESS PEOPLE ?
OÛ LES RETOUVE-T-ON ?
COMMENT VIVENT –ILS  AU JOUR LE JOUR ?

 

Ces personnes sans abris ou sans domicile fixe représentent une composante assez importante  de la société américaine. Ce sont des gens qui,  comme vous et moi, avaient un toit par dessus la tête  et qui, soit  par un accident de parcours ou un glissement progressif ou brusque vers des trous abyssaux ou géants, n’ont pas su remonter la pente et finissent par se retrouver à ciel ouvert en tout ou en partie.

Beaucoup avaient un emploi et une demeure qu’ils ont malheureusement perdus  à la suite de circonstances malheureuses telles  la mort d’un conjoint ou d’un  partenaire avec qui ils partageaient une vie commune ; ou encore, par  l’arrivée soudaine d’un licenciement massif sur le lieu de travail qui était tout à fait impensable jusqu’au jour où l’on était venu leur apporter  la mauvaise nouvelle..

Certains sont des sans abris temporaire qui économisent ou rassemblent les fonds nécessaires  pour pouvoir reconstruire un jour une demeure qui sera la  leur propre. Ils ont encore un véhicule où ils entreposent à l’arrière l’essentiel de tout ce qu’ils ont, aménageant un espace pour dormir entre  les sièges avant et le volant, tout en craquant une ouverture entre  la  vitre de la fenêtre et ses contours  pour permettre à l’air de circuler et de se recycler.. Cette catégorie de sans-abris espère trouver  un colocataire ou roommate avec qui se mettre un jour pour pouvoir se payer  et maintenir les  exigences d’un nouvel  appartement.

Les sans-abris, ce sont aussi des gens qui ont migré des zones rurales ou des faubourgs, qui étaient venus tenter leur chance dans un mégapole bien ciblé , en s’embarquant dans une  grande aventure qui malheureusement n’ a  pas bien  tourné.

D’autres ont perdu tout espoir de retourner sous un toit familier ; ils sont de jour à travers  les rues, et vont attendre les soirs, lorsque les asiles ou centres d’accueil  sont ouverts,  pour signer et rentrer  dormir le temps d’une nuit, quitte à se lever de grand matin pour se doucher ou se laver avant de recommencer la nouvelle journée. Il y a dans cette catégorie des gens qui travaillent et qui ont des enfants que le bus de l’école  passe chercher  régulièrement tous les matins devant l’asile  et redépose  l’après-midi. ..On y retrouve aussi  des femmes battues  qui, sous la pression des violences conjugales, domestiques ou autres, ont  tout abandonné, sauf elles-mêmes avec leur habit sur le corps,  afin de sauver leur vie d’un partenaire agressif et violent.

J’imagine aussi  une grande partie de ces sans abri qui se retrouvent avec  un problème mental, congénital, génétique, ou acquis à la suite d’un  grand chambardement social  qui les empêche de gérer efficacement leur vie. Ils se sont retrouvés sur  le pavé à la suite de la mort d’un parent qui les avait sous sa tutelle et qui prenait toujours soin d’eux ; et lorsqu’ils ne sont pas automatiquement recueillis ou récupérés par un autre membre de la famille, ils deviennent  des sans abris, qui remplissent tantôt  les groupes homes et les (Assisted living facility) ou ALF, et  tantôt  d’autres types de résidence communautaire..

Faut il rappeler ici que les lois de l’hygiène mentale s’exercent avec beaucoup de rigueur sur  ce group d’individus qui, autrement, n’aurait bénéficié d’aucun traitement approprié et finirait comme tant d’autres  par errer  un peu partout dans les rues.C’est ici le rôle  de gendarme qu’exerce la psychiatrie en protégeant la société contre les dérives éventuelles  des handicapées mentaux en  même  temps qu’elle les protège des pressions ou actes arbitraires ou nocifs de leur environnement.

Il y a eu une théorie sociale de la schizophrénie qui était assez répandue dans les années 80- 90  où l’on cherchait à expliquer le lien étroit qui existerait   entre la pauvreté et les maladies mentales, particulièrement la schizophrénie. Certains  avançaient que les maladies mentales entrainaient et maintenaient les gens dans  la pauvreté alors qu’un  autre courant de pensée stipulait que c’était au contraire  la pauvreté qui  rendait les gens mentalement inaptes et contribuait à certaines maladies mentales. C’était, en schizophrénie, la théorie du « shift contre celle du drift ».Il faut admettre que les deux théories, plutôt que de se dissocier, se complètent admirablement bien.

Enfin, Il existe  une dernière catégorie de homeless  ou sans abris  qui n’approchent aucun asile ou Shelter, et qui préfèrent rester entièrement dans les rues ou vivre à l’air libre.. Et même lorsque l’hiver est des plus extrêmes au dehors, ils refusent d’intégrer  un  endroit couvert et chaud  où passer  la nuit.

La police souvent intervient pour les déloger  du froid et les placer en lieux sûrs, quitte à les relâcher une fois la nuit passée. Ils sont dans les parcs  de los Angeles, de Chicago, de Manhattan et dans les grands centres métropolitains où ils sont les premières et les dernières victimes du fléau de la drogue qui ravage l’Amérique en milieu urbain aussi bien  qu’en zone rurale.

Enfin, d’autres plus nomades, voyagent de ville en ville, d’un état à un autre, et finissent par tout perdre de leur identité  première. Ils savent qu’ils ont laissé des parents et des amis quelque part, mais ils n’ont aucun désir de les revoir un jour. Par orgueil ou simple question de dignité propre, ils préfèrent rester loin des leurs.Ils savent aussi qu’ils ne sont pas très bien vus des autres membres de leur famille, et préfèrent rester à distance. ils préfèrent se marginaliser en  se soustrayant à toute influence humaine possible. Ils sont devenus pour la plus part, incapables de vivre en société.

Il faut, pour finir, dire un mot  des implications nombreuses que le phénomène des sans abris peut avoir sur la société. Tandis qu’ils sont marginalisés et  semblent vouloir,  de gré ou de force, tourner le dos à la société, celle-ci dans ses attributions régaliennes, se doit d’assurer la sécurité de tous et  rassembler tous ses enfants sous sa tente. Ils représentent,  par individu, un cout toujours plus  élevé en santé parce qu’attendant les tout derniers moments pour rechercher de l’aide. Et comme ils n’ont de médecins propres à eux, ils utilisent bien plus souvent le service  d’urgence que le reste de la population.

.. Le problème m’avait  particulièrement interpellé lorsque travaillant dans une  unité de soins psychiatriques, j’observais que certains patients  restèrent des jours et des jours à l’hôpital sans pouvoir rentrer chez eux, faute d’une place où retourner à la fin de leur traitement en milieu hospitalier..

En m’approchant de plus près de l’univers  de ces patients, je me rendis compte que certains vivaient à travers les rues depuis  de nombreuses années, et utilisaient l’hôpital comme une sorte de tremplin où ils viennent se ressourcer  pendant quelque temps en attendant de retourner à leur vie d’errance.

L’état a négligé voire ignoré  le problème des sans –abris pendant trop  long temps. 11000.000 d’unités de logement font aujourd’hui défaut dans le pays dont 7000.000 dans le seul groupe des personnes à revenu modeste. La flambée des prix des maisons , conséquence directe  de la carence en unités de logement, a aggravé le problème au cours des cinq dernières années.

Deux programmes de réinsertion  des sans abri sont en voie d’application en ce moment. Ce sont :  Home first qui s’occupe des personnes vivant entièrement dans les rues et ayant des enfants, et le Work Works America  qui a une approche beaucoup plus holistique et utilise l’emploi comme  vrai moyen en vue d’éradiquer le fléau des personnes sans abri .

Avec les 11000.000 d’emplois pour lesquels il n’y a pas de main d’œuvre disponible aux Etats –unis ces jours-ci, tout le monde pense que c’est une opportunité à saisir pour faire travailler plus d’uns, ce qui aura l’avantage de faire marcher l’économie et de réduire les plus d’un demi million de gens qui , chaque soir , n’ont pas où se poser la tête. Le problème des sans-abris est un problème de santé publique et  de santé mentale tout court qui ne peut pas être ignoré. C’est un cancer social susceptible de se métastaser  s’il n’est pas traité  et excisé pendant qu’il en est encore temps.

 

RONY  Jean-Mary, M.D.
CORALSPRINGS,  FLORIDA,
LE 5 FÉVRIER 2023.

 

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