J’AI PERDU UN AMI
Mon ami pasteur, dont j’ai appris à apprécier le dynamisme, est mort la semaine dernière, victime d’un accident cérébro-vasculaire. Avec l’argent des contribuables, il a édifié une géante cathédrale de confession protestante, au cœur de la ville de Hinche. Il y a tellement d’édifices évangéliques dans cette partie de la ville où il a érigé son église, depuis l’ancienne cathédrale, vieille de 500 ans, aux plus récentes dont la sienne, qu’il faudrait un jour rebaptiser cette rue du nom de : « Rue des églises » . Avec les dons sollicités de particuliers et de supporteurs, dont moi-même, il s’’est payé un générateur électrique dans le but d’électrifier l’église qui trop souvent, subissait des coupures de courant au beau milieu des services religieux. il enseignait dans les lycées et collèges de la ville. Il était un vrai modèle pour la jeunesse du haut plateau central.
Dans ce pays où l’Etat est absent dans les services de base à fournir à la population, on ne va jamais connaitre un développement réel, si les particuliers ne se prennent pas en charge .Même si cela encourage l’Etat à la paresse..
Je suis membre du Board de plusieurs institutions de développement au niveau de ma ville.
La dernière fois que nous nous sommes parlé, le pasteur et moi, c’était au mois de janvier. Je devais apporter ma contribution à un projet de transportation au bénéfice des membres de son église. Je ne suis pas religieux .Mais s’il y a un Dieu, il n’est pas dans la religion.il est en dehors des religions ; et les religions peuvent seulement servir de véhicule à la spiritualité, tout comme elles peuvent constituer des pôles de développement si elles agissent dans le sens du bien commun. Ce Dieu doit aussi vouloir que nous nous entraidions mutuellement.
Je suis proche de la Théorie de Tolstoï qui disait : « j’ai toujours affirmé que Dieu existe mais qu’il ne s’occupe pas des humains. Car, s’il s’en occupait, les bons auraient en partage le bonheur, et le malheur accablerait les méchants. Or, cela n’est pas » .
J’ai toujours supporté les œuvres sociales de quelque nature qu’elles soient, et quelqu’en soit l’endroit où elles ont lieu. Quand il fallait construire la cathédrale de l’’immaculée conception à Hinche, vieille cité du centre d’Haïti, siège du premier évêché de toute l’île sous Nicolas Ovando qui n’aura jamais vu arriver son évêque, j’ai apporté ma quotte- part, quoiqu’ayant grandi dans la foi pentecôtiste. Et Je me demande , dix ans après le tremblement de terre du 11 janvier 2010, ce qu’attend l’église catholique pour reconstruire la majestueuse cathédrale de Port-au-Prince, témoin de tants de faits historiques ? Faut-il voir là un désir avéré de laisser en ruines tout ce qui faisait la fierté de nous autresaujourd’hui vieux de plus de cinquante ans ? Ou Attendent- ils que l’étranger vienne construire une église à leur Dieu ? Dans la même veine quand commencera –t-on a avec la reconstruction du Palais national ?
Je contribue depuis dix ans à construire et à faire fonctionner un « asile d’amour » aux cayes sous l’administration d’un collègue de la faculté de médecine et de pharmacie de l’’UEH, depuis devenu pasteur.
Je revois avec un sourire à peine contenu, les photos de ces enfants pleins d’ardeur et de sève dont j’aide à reconstruire ou à faire construire leur école dans une section rurale tout près de Hinche. Ils sont 130 pour le moment, hier perdus dans la nature, et que nous avons pu ramener sous un seul toit pour leur enseigner tout ce qui pourra un jour leur être utile dans la vie. Je voudrais qu’ils reçoivent aussi un plat chaud au milieu de la journée, car ventre affamé…n’à point d’oreilles pour entendre ni apprendre… Ceci représente une faible partie de ce que j’ai fait, tout en nourrissant les plus beaux rêves pour cette jeunesse et cette société que je ne voudrais pas voir mourir physiquement, intellectuellement et moralement parlant. .
Et si j’ai dit tout cela, ce n’est guère pour m’époumoner ou me faire passer pour un philanthrope, ni pour en tirer une vaine et quelconque gloire personnelle .Il y a beaucoup de gens qui font bien plus que cela, mais qui n’en ont jamais fait mention nulle part .Je le dis surtout pour rappeler combien des fils du pays, habitant surtout en diaspora, ont beaucoup fait pour maintenir sous perfusion ce pays qui , depuis des temps déjà, se trouve en état de mort cérébrale. C’est pour dire que chacun, dans sa sphère d’action qui lui est propre, peut et doit toujours retourner quelque chose à la mère- patrie. Envers Haïti, c’est une dette infinie dont on ne s’acquittera jamais. Nous reconnaissons que par delà nos passeports qui peuvent bien être différents, ceux des uns par rapport aux autres, que nous demeurons tous des Haïtiens à part entière, et que notre accent créolophone tôt ou tard peut nous trahir et révéler notre vraie identité. Cet accent avait trahi beaucoup d’haïtiens lorsque le sanguinaire Trujillo, pour massacrer les haïtiens en république Dominicaine, leur fit répéter le mot « perejil »ou « persil », et fit égorger sur le champs tout ceux-là qui ne pouvaient pas bien rouler la lettre « R » .
Ici, j’envoie mon admiration à tous ceux qui ne se sont jamais détachés de leurs origines ni coupé les ponts d’avec la terre de leurs ancêtres quoiqu’ heureux ici, et ayant connu de grands succès sur leur terre d’accueil respective. Je me demande chaque jour comment ce pays aurait pu survivre sans l’afflux massif de transferts d’argent et de biens de toutes sortes que sa diaspora lui envoie à longueur de journée
Je plains par contre ceux-là qui n’ont jamais regardé en arrière et qui n’y sont jamais revenus depuis trente cinq ou quarante ou cinquante ans. Les conditions sont mauvaises aujourd’hui et les risques à prendre sont énormes. Mais le meilleur moment peut ne jamais arriver si on ne le crée pas. D’aucuns attendent que le pays meure ou disparaisse complètement pour qu’on n’ait pas à leur parler d’Haïti, de quelque chose qui, au fond, est pour eux , une souffrance ou une honte qu’ils endurent en silence. MWEN PA PALE DE PEYI SA A ANKO .Ils font comme ce soldat devenu officier qui, après s’être marié dans une famille noble, aurait refusé l’entrée de sa maison à sa mère pauvre et paysanne qui avait voyagé de très loin avec des tablettes de noix de coco, du beurre d’arachide (mambas), de la cassave , pour son fils qu’elle n’ avait pas revu depuis des lunes ,et qu’elle voulait retrouver, et toucher dans un PITANM ! (pititt mwen)admirable. L’officier avait toujours dit que ses parents étaient morts et qu’il ne lui restait que lui seul comme le seul et unique survivant de sa famille. Il avait honte de ses origines. Soudain, il ne mangeait plus de ces choses là.
Je ferme ici cette parenthèse cauchemardesque sur ces gens au mental sclérosé qui ont peur de dire d’où ils viennent ni ne savent où ils vont. Car, point à moi de juger quiconque !. « Le cœur, disait madame de Sévigné, a parfois des raisons que la raison elle-même ne connait pas. » Mais simple question, Comment ne pas rêver d’un pays si glorieux de son passé, et d’une terre si bienveillante envers ses fils ?
Je plains aussi Ceux-là qui se sont enrichis aux dépens du pays, qui l’ont pillé encore et encore, et qui ont contribué à l’enfoncer d’avantage dans son trou noir. S’ils étaient nationalistes et patriotes, à l’instar de nos voisins dominicains, ils auraient pu constituer aisément ’une bourgeoisie provinciale autonome, de quoi apporter une bouffée d’oxygène à l’arrière –pays toujours plus exsangue. Pour beaucoup, c’est bien plus facile de traverser la frontière avec, dans de grosses malles à double fond, ces biens mal acquis, et d’aller les investir ailleurs
Revenons à notre cher pasteur qui n’a jamais quitté son pays et qui a travaillé à l’embellissement de son coin de terre pendant plusieurs décennies. Il est tombé à soixante ans sans achever de construire ce beau temple qu’il avait voulu offrir à la gloire du grand architecte de l’univers. Dieu crée la nature toute merveilleuse et admirable. C’est à nous de la rendre vivable. Une disparition aussi brutale pour un homme qui burinait du matin au soir avec une telle ardeur sur le roc du temps et de la vie, était presqu’impensable jusqu’à ce matin-là lorsqu’ on s’était réveillé avec la nouvelle de sa mort. Quand certaines nouvelles, mauvaises surtout, vous arrivent au milieu de la nuit, ou au petit matin, on a cette tendance à aller se rendormir, de peur de n’être que dans un rêve ou dans un cauchemar que le vrai réveil finirait par dissiper..Mais l’émotion qui accompagne ces nouvelles est si grande quelque fois qu’elle rend difficile toute reprise de sommeil à la suite d’une telle annonce.
Le livre de la sagesse trouvé parmi les apocryphes que seules contiennent les bibles catholiques, nous parlent de cet homme bienveillant que Dieu avait enlevé trop tôt de ce monde. Et la réponse était qu’il était appelé à d’autres fonctions au près de son créateur. Nous aimerions tous voir un jour s’achever l’œuvre de nos mains et mourir en paix après des temps de dur labeur. Mais un tel privilège ne revient pas à nous tous. J’imagine de temps en temps, ce que doit être le monde des disparus. Là bas il n’y aura ni médecin, ni agronome ni aviateur car les maladies n’existeront plus. On n’aura jamais faim et on aura des ailes pour voler très , très loin, à l’autre bout de l’univers. On n’a pas d’âge pour répondre à l’appel, un appel qui viendra inexorablement tôt ou tard..On voudrait aussi espérer voir un jour ceux qui nous ont devancés vers l’autre monde. Mais cela n’arrivera jamais. Le train de l’au-delà ne s’arrête pas. Il ramasse les passagers de partout. On y rentre paisiblement et l’on se glisse doucement avec des yeux de l’esprit car le corps corruptible a disparu. On y rencontre des gens pourtant jamais connus jusqu’ ici.. Ils seront nos compagnons de voyage. Mais nous ne comprendrons ni la langue qu’ils parleront ni ce qu’ils font à coté de nous. Notre mémoire terrestre ne gardera aucun souvenir de nos années passées. Nous retournerons molécules contre molécules, et atomes contre atomes là où nous étions et vivions des milliers d’années au paravent. Et Nul ne laissera sa marque indéfiniment sur les affaires de ce monde. Tout ce que nous faisons n’est que bêtise et vanité ; Pourtant il faut les faire pour ne pas nous mettre à contre courant de la société et du temps dans lesquels nous vivons. En attendant la prochaine marche funèbre, attendons sans impatience que nous arrive notre tour, et pratiquons ce que nous aimons faire le plus. Car, au jour de l’adieu, les choses que nous regretterons le plus sont celles que nous avions voulu accomplir et pour lesquelles nous n’avions pas consacré tout le temps qu’il fallait.
En ce mois de Mars, nous entrons dans une nouvelle saison. La nature va refleurir. Aux flocons de neige d’un hiver rigoureux, font place, petit à petit, un soleil qui se lève plus tôt que d’habitude, et une journée qui va s’allonger bien au delà de huit heures du soir. Il y a toujours un printemps qui nous arrive au détour de l’hiver .La vie est un cycle qui se perpétue à l’infini. Les humains ne sont que des dommages collatéraux d’une partie jouée et connue d’avance, sans omettre que nous serions la cible d’extra- terrestres qui rentrent et nous piquent avec des flèches invisibles sans que personne ne puisse s’en rendre compte .Et le temps de le réaliser, le chasseur est déjà parti, les mains agrippées à son butin. Voilà ma toute et seule théorie de la mort.
RONY Jean-Mary, M.D.
CORALSPRINGS, FLORIDA,
Le 19 mars 2023.