La  religion, l’église, vraies perdantes
de la crise sociale actuelle en Haïti.

Notre  société à nous, comme toute société d’ailleurs, est régie par  des principes fondamentaux, et axée  sur des croyances et des mœurs qui  ont été  transmis de générations en générations, et qui ont assuré  la survie et la pérennité de nos institutions. Ces principes  sont à la fois d’ordre moral, sociétal ou purement religieux, tout comme ils peuvent être  puisés de nos traditions  qui sont comme des points de repère  garantissant ainsi un équilibre harmonieux entre les éléments d’une communauté donnée.

Cet équilibre, pour se maintenir, a du  s’empeigner  de codes et de valeurs diverses auxquels on adhère tous tacitement, que l’on semble tous respecter, et sous l’égide desquels l’on semble s’accorder pour vivre ensemble.   A titre d’exemple, pendant longtemps les lieux de culte, les églises et les péristyles ou ’humfors’, étaient gardés en dehors de toute souillure et constituaient des aires protégées où l’on entrait avec respect pour prier ou assister à toutes sortes de cérémonies religieuses et  à des  rituels, et où  personne n’osait pénétrer avec fracas et indécence. Les traditions étaient constamment à l’honneur. N’empêche cependant  que de temps en temps, pour la satisfaction  ou les caprices  d’un pouvoir dictatorial et autoritaire, des actes téméraires allaient  avoir lieu  dans le seul objectif d’intimider les gens et de les forcer au silence. Qu’on se rappelle le cas de Monseigneur Oscar Romero, tué d’un bal  sur l’autel même, au moment de prononcer une messe le 24 mars 1980 à San Salvador.

Chez nous, en Haïti, le respect de certains  objets inanimés était d’une grande importance.   Certains arbres  au beau milieu de l’habitation étaient même associés à des esprits ou divinités et étaient interdits d’abatage sous peine d’etre punis par  ces derniers. Autant dire  que ce temps d’adulation pour les  symboles, les lieux de culte  et les valeurs ancestrales semble être bien révolu. En effet, triste est il  de constater que  la profanation des temples et des lieux de d’adoration est devenue monnaie courante ces jours-ci. Et Cela n’est pas arrivé d’un jour à l’autre.

Il y a bien  des années depuis que nous  sommes introduits à ce cycle infernal de  compte à rebours de nos valeurs morales, et que nous nous enfonçons  dans ce cannibalisme odieux qui ne cesse de nous déshumaniser.

Des gens sont rentrés plusieurs fois dans des églises pour causer des troubles sans que personne ne proteste ou ne dise quoi que ce soit sur  ces actes répréhensibles qui depuis, ont  fait école chez nous.

Le premier grand massacre dans une église catholique en Haïti, il y a  de cela quelques années, c’était à Saint jean Bosco sur la grand-rue à Port-au-Prince.

Ensuite, des sbires à la solde du pouvoir issu du coup d’état de 1991 sont allés au Sacré – cœur arracher de l’église, en pleine messe, un des frères Izmery  pour l’exécuter sommairement  sur le parvis  de l’église. Comme Izmery était un partisan du président Jean-Bertrand Aristide, alors en exil, personne ne disait rien.

Récemment encore, dans un temple adventiste on était entré prendre en plein service Le musicien Welmyr Jean-Pierre, un  virtuose  du piano, pour ne le relâcher que contre rançon, quelques jours plus tard.

Enfin, un autre cas célèbre est celui d’un commissaire de police, arraché d’une église de la croix des bouquets  avant d’être exécuté  sommairement par des bandits armés qui sont ensuite partis avec le cadavre

On apprend que le weekend écoulé, à la plaine du cul de sac, alors qu’une prêtresse du vodou pratiquait une cérémonie chez elle, elle et son assistance furent froidement abattues par des    bandits qui se sont plaints du fait qu’ils n’avaient pas été informés de la tenue d’une telle  cérémonie.

Comment expliquer une telle  banalisation de nos institutions religieuses, comment comprendre  cette désacralisation  de tout ce qui représentait des valeurs sûres dans  notre société ?

Mais ce n’est guère d’une simple question de banalisation ou de  désacralisations  des concepts et préceptes religieux qu’il s’agit       Nous observons ces jours-ci  une remise en question de biens des normes  que l’on croyait immuables et qui s’étaient instituées en dogmes incontournables au fil des ans dans notre société.

Serait il que l’église et les diverses religions implantées dans le pays aient  failli  leurs mission et n’auraient pas tenu leurs promesses  vis-à-vis de leurs croyants ?

Parlant de la religion, celle-ci, plutôt que  d’être  considérée comme un véhicule conduisant  vers la  spiritualité, s’est toujours offerte comme une finalité en soi, un moyen dernier de salut eternel. Elle s’est aussi  souvent détachée des besoins immédiats de l’homme pour ne s’occuper que des aspirations futures de celui-ci.. S’opérant ainsi, elle a fini par pécher  contre un principe fondamental inhérent à toute société qui est  de prendre soin de ses semblables, et d’aimer  son prochain comme soi-même

Bref, dans un monde où les conditions d’existence sont devenues tellement précaires, l’aspect social de la religion devrait être pris en considération au même titre que son coté spirituel. Et quand cela n’arrive pas ainsi, un déséquilibre  s’en suit et un vide s’installe.   Dans un récent article de ce journal, je disais que la religion  pouvait  servir de catalyseur  pour inciter à de bonnes choses, voire constituer le ciment ou le levain grâce auxquels  les fractions hétéroclites d’une société  peuvent rester soudées et progresser ensemble. Cependant, telle que pratiquée chez nous et dans d’autres pays du tiers monde, elle peut ne pas avoir  uniquement  une  influence positive sur les gens, mais devenir aussi  une arme à double tranchants, capable de faire beaucoup de mal à la société.

L’église a longtemps parlé d’un festin céleste qui nous attend un jour là-haut, et d’une félicité éternelle ou  bonheur sans fin dont nous jouirons à tout instant. Cependant, la misère est tellement grande, les privations humaines si dégradantes, que les gens ne semblent plus pouvoir attendre cet autre règne à venir où il y aura pour eux du  bonheur sans fin. Les gens ont faim et ont besoin de nourriture à l’ instant même. Ils rejettent aussi certaines incohérences des écritures bibliques  où il est demandé de tendre aussi la joue droite si l’on nous frappe sur la joue gauche.

L’insécurité est monstrueuse chez  nous, si alarmante que mieux vaut s’armer de sa machette  pour attendre et se défendre contre  le bandit. Il y a même une remise en question de certains textes jusque-là intouchables.

Tel pasteur qui parle du sang  de Jésus dont il veut se servir pour arrêter les bandits se trouve vivement décrié, ridiculisé par un autre surnommé le pasteur des « ti manchettes » qui exige que ses membres viennent avec leur machette à l’église pour pouvoir mieux se défendre…

Il faut admettre que depuis des siècles, dans le seul but de perpétuer un ordre social injuste et erroné, l’église s’était donnée entre autres missions celle  d’endormir les gens et de les garder dans la crainte. C’était de l’endoctrinement a son paroxysme, un opium disait Voltaire  contre tout ce qui pouvait  soulever ou faire révolter la  conscience des  croyants. La soumission, l’acceptation de sa condition de pauvreté, l’amour de l’esclave pour le maitre,  même lorsqu’il était  méchant envers ses sujets, la résignation étaient les pierres angulaires de ce lavage mental.                     Aujourd’hui, l’on se demande avec raison si  la religion  et l’église ne pourraient pas offrir quelque chose de plus substantiel à ses fideles ?   Je me rappelle combien  ma mère se sentait  offensée lorsque mon père disait ce qu’il pensait de la religion  en général, et de ces  missionnaires qui sillonnèrent un peu partout à travers le pays. Mon père croyait qu’ils étaient des espions et que  s’ils avaient un quelconque salut à partager, ce n’est pas avec nous autres, nègres d’Haïti, qu’ils le partageraient. Moi enfant, j’écoutais tout cela avec attention, et je  comprends aujourd’hui combien mon père était en avance par rapport à son temps.

Mais pourquoi l’église va-t-elle tant perdre, et a-t-elle  déjà tant perdu dans cette gageure, surtout  à un moment où elle aurait pu être cette  voix de raison, ce cri qui monte du désert pour demander à chacun de se relever de ses  basses œuvres ou de ses ignominies ?

D’abord l’église ou mieux ses représentants n’ont pas toujours prêché d’exemples. Ils ont toujours dit une chose et en ont simplement pratiquée  une autre. Ils ont presque violé tous les codes éthiques, moraux ou autres auxquels ils avaient juré de s’assujettir. L’église, soupçonnée depuis toujours de pratiques malsaines, d’intrigues de toutes sortes, et  engluée de plus en plus dans des scandales  à répétitions, a fini par ternir son image et par faire tomber le masque de représentants de Dieu ou de facilitateurs entre celui-ci et les humains.

S’agisse-t-il  des cas de pédophilies et d’abus sexuels sur mineurs, de ces fréquentations  ou visites en habits déguisés de lieux de prostitution par de grands pasteurs de Mega Church  dont Jimmy Swagat, de détournements de fonds collectifs à des fins personnelles , du train de vies que mènent certains pasteurs tandis que les membres de leurs congrégations vivent dans la plus abjecte des pauvretés, ce sont au tant de choses qui ont éclaboussé l’église et lui ont fait perdre de ses titres de noblesse..

En Haïti plus précisément, il y a eu beaucoup de cas où l’église se trouve impliquée dans des trafics d’armes illégales. Beaucoup de prêtres anglicans, ou de confession épiscopale, sont aujourd’hui écroués, accusés de faire rentrer des armes illégalement dans le pays. Et l’on se demande à quelles fins  ou dans quelles intentions. Etait –ce pour renverser le pouvoir en place  ou pour entretenir le réseau de kidnapping qui  ensanglante le pays ?

Avec le kidnapping et les scandales de toutes sortes, l’église s’est réveillée  brutalement ces derniers jours  dans un monde où elle ne se reconnait pas , et dans lequel  elle doit bien avoir du mal à s’ajuster Sont- ce les incohérences de l’église ou de la religion  qui, incapables de justifier certains mythes, ont forcé au  rejet des  tabous, et à la  banalisation de  tout ce qui était  sacré ou vénéré  dans le pays ? Comment continuer  de croire dans une église qui ne protège pas ses fideles ?  Voilà  autant de questions que nous nous posons ces jours-ci. A L’instar des juifs des camps de concentration, et de tous ceux qui ont peiné et souffert sans secours ni consolation, nous nous demandons où est notre Dieu , le Dieu que les haïtiens aiment tant invoquer ?.

L’église doit rentrer dans un véritable questionnement de ce qu’elle est, ou mieux, de ce qu’elle veut représenter au près des croyants et du peuple en général.. Elle doit  s’engager aux cotés du peuple en ces temps de grande détresse nationale. Elle a besoin de fournir à celui-ci des directives  claires pour éviter de sombrer dans l’anarchie tout en poursuivant les responsables , les auteurs et les commanditaires de l’ordre malsain  qui prévaut actuellement. C’est en charriant  les revendications  exprimées par le peuple, en l’accompagnant  dans ses tentatives de sortir du labyrinthe social, en lui offrant un salut bien

Mieux adapté à ses besoins et aux réalités du moment, que l’église, en tant que  force morale, aura peut-être la chance de redorer un jour son blason au près de ses ouailles. Notre société  et ses valeurs s’effritent à un rythme accéléré ;On ne peut se permettre de ne plus pouvoir compter l’église parmi l’une des institutions encore fiables, ou parmi les  derniers  remparts contre l’effondrement de l’ordre étatique.

 

RONY  Jean-Mary, M.D.
CORAL SPRINGS,  FLORIDA,
Le 21 MAI 2023.

 

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