LETTRE AUX PARTICIPANTS AU CONGRES DE L’AMHE DE 2023
Bien chers lecteurs et lectrices du journal, Comme vous le savez tous déjà, Juillet ramène le mois où l’AMHE organise depuis toujours son congres annuel. Contrairement aux autres années où nous avions jeté l’ ancre un peu partout à travers les États- unis, le Canada, l’Amérique centrale et les caraïbes, Haïti y comprise, c’est sur l’Afrique que nous allons tous mettre le cap pour la première fois cette année.
Venus de régions diverses , des iles de la caraïbe et des Amériques , nous allons tous nous converger v ers Benin et Ghana où, pendant près de 12 jours, nous aurons à faire l’unique expérience de nous retremper dans des cultures presque semblables à la nôtre, et de nous frotter contre des peuples et des gens qui, n’étaient-ce la traite Négrière, la tragédie ‘’ignoble ‘’ de l’esclavage de l’homme par l’homme ,ou mieux le forfait perpétré contre tout le continent noir pendant des siecles, auraient pu être notre peuple , auraient pu parler notre langue, bref se réclamer de nous et nous autres d’eux- mêmes.
Apres la confusion de langage qui eut lieu du haut de la tour de Babel, et reportée dans les écritures bibliques, ce mélange de peuples différents et de cultures différentes, regroupés les uns contre les autres , et contraints à chercher à se comprendre depuis la case des navires qui les transportèrent jusqu’aux points d’arrivées où ils étaient vendus comme marchandises humaines ou biens meubles, ce mélange, dis-je donc, représente la plus grande tragédie que ni l’ holocauste des juifs par Hitler, ni la famine imposée par des tyrans à des peuples insoumis , ne pourront jamais égaler . Car, avec l’esclavage, c’était la deshumanisation érigée en un système odieux qui allait durer pendant des siècles, et servir de leviers à la mobilisation de vastes richesses pour lesquelles rien ne fut payé en retour
On comprend qu’il ait fallu tout ce temps-là pour mettre en place la contre-offensive mentale, morale et structurelle qui allait déboucher sur la création du premier peuple essentiellement anti-esclavagiste du monde occidental, en l’occurrence Haïti. Mais ne dit-on pas toujours que de tous les pays d’Afrique, de toutes les tribus dont l’Haïtien puisse être originaire, le pays qui lui ressemble le plus et au quel il semble être le plus proche est le Benin ?
Voilà pourquoi un retour au pays des ancêtres devait inévitablement passer par le Benin. C’est de là d’ailleurs qu’est venu le grand père de Toussaint Louverture, Gaou Guinou, Roi des Arada, vendu lui aussi en esclavage. Et ceux qui feront le voyage avec nous cette année, auront certainement la chance de visiter la place Toussaint Louverture érigée depuis des années à Cotonou, la capitale du Benin.
Ce voyage devrait avoir un cachet particulier .Il devrait tenir compte non seulement des sensibilités historiques, culturelles ou autres dont il est normalement entaché, mais chercher aussi à approfondir, une fois pour toutes, les liens de sang qui unissent Haïti à son Alma mater.
Un tel voyage devrait refléter l’héritage culturel légué de nos pères, et transmis de générations en générations. Il devrait mettre en exergue nos talents artistiques, notre riche folklore, nos danses et nos chansons populaires. A la place d’’une Haïti méprisable, en défaillance aux yeux du monde, d’un état pauvre, déguenillé, incapable de se nourrir, c’est l’image d’une Haïti revivifiante que nous devrions projeter là-bas. Ce devrait être pour nous tous l’occasion de vendre Haïti comme une destination à ne pas manquer par tous ceux-là qui viendraient en Amérique chercher des cousins lointains, des tribus perdues, qui sont à retrouver dans ce ‘’Melting pot ‘’ culturel que nous représentons
Nous avons certainement un apport européen qui a été introduit à notre culture, ayant été tour à tour sous la domination Espagnole, Anglaise en partie, et surtout Française. Mais juste est-il de reconnaitre que des 12 millions d’’ Haïtiens de l’intérieur, c’est près de 95% d’entre eux qui se réclament d’une ascendance africaine.
Un voyage aux sources est toujours utile, car il permet à chacun de bien comprendre ses origines et ses racines, de mieux savoir d’où il vient, donc de mieux pouvoir se définir sur des bases plus solides et plus ancrées.
On a tellement occulté l’histoire des peuples noirs, ou mieux tellement enseigné le faux à la place du vrai, que le mensonge , à certains égards, a fini par avoir droit de cité , et par denier aux générations subséquentes un accès tangible à certaines vérités qui pourraient parfois déranger l’ordre en place pour ne pas dire tout simplement changer le Statu quo. Certains qui ont déjà fait le voyage racontent toujours avec émoi l’histoire de ces lieux sombres et froids, antichambre de la mort, où l’on entassait tout enchainés, ces esclaves capturés que l’’ on allait expédier, comme des colis, en Amérique et partout ailleurs, une fois passé le point de non retour. Pour les fils, petits fils et arrière- petits fils d’esclaves que nous sommes, c’est toujours un voyage qui arrive un peu trop tard. Il dessille toujours les yeux sur tant de choses que l’on ignorait trop longtemps ; il ouvre bien des perspectives, et aide à comprendre tout au moins l’arrogance de l’occident qui a régné en maitre et seigneur, et qui a tout réprimé sur son passage depuis des temps presque immémoriaux.
Chaque petit fils ou arrière –petit fils d’esclave qui retourne en Afrique, qui marche à reculons sur les lieux d’embarcation d’ où il était parti des siècles plus tôt, devra être confronté à l’horreur de ces nuits exécrables où hurlements de femmes en détresse mêlés aux cris aigus de douleur montés de poitrines d’hommes , transportèrent dans le lointain, par ces nuits où l’orage était vainqueur et où il faisait noir, l’agonie de cette horde de gens, arrachés de leur terre, et livrés aux vagues de l’océan et au vent qui les poussèrent dans la trajectoire d’ un destin sombre et funeste.
Mais il faudra aussi admettre qu’il y avait en ce temps –là des chefs locaux qui profitèrent grandement de la traite Négrière, et qui recevaient en contrepartie des armes et des munitions pour les esclaves qu’ils livrèrent aux marchands. Donc, un voyage en Afrique, particulièrement au Benin, au Sénégal et un peu partout sur la cote ouest de l’ Afrique , là où le commerce avait été des plus florissants, devra permettre sinon d’exorciser le mal originel , du moins de remettre les pendules à l’heure en ce qui a trait aux rapports de l’Afrique avec sa diapora.
Ce dernier point, dont je vous parle ici, illustre la triste collusion qui a toujours prévalu,fût –il en Haiti ou en Afrique ,entre des chefs locaux et des acteurs étrangers anciens colons au détriment de leurs frères et sœurs de sang. Cela est d’ autant plus pathétique qu’il rappelle aujourd’hui encore, comment des traitres locaux déguisés en leaders ou chefs de bande, reçoivent leurs ordres exclusivement de l’extérieur et se soucient très peu du bien-être de leurs concitoyens. . Dans les jours et les semaines à venir, nous continuerons à vous informer sur les préparatifs de la convention.
Enfin, disons que beaucoup de membres de notre association dont la santé est aujourd’hui chancelante, hésitent à faire un si long voyage.
Mais ils continueront à nous entourer de leurs conseils et à nous guider tout au cours de ce pèlerinage. Cette convention, baptisée du thème de’’ médecine des deux continents : Afrique et Amérique’’, sera donc pour beaucoup d’ entre nous l’occasion de nous familiariser avec la pratique de la médecine telle que pratiquée sur le continent Africain….
C’est un voyage à faire, une occasion à ne pas rater !
RONY Jean-Mary, M.D.
CORAL SPRINGS, FLORIDA,
Le 11 JUIN 2023.