KOJO et Abina (derNière partie)
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La liaison entre Abina et Kojo roulait en vitesse de croisière. Leur éventuelle cérémonie nuptiale, une étape sociale d’importance capitale dans la vie de chaque individu, possédait le cachet de la capacité additionnelle de l’ajout du point final dans le conte de fées. Une exclamation aussi tonitruante que le passage de l’obscurité totale de la nuit équatorienne à la clarté du soleil du matin. Une élision aussi subtile que le revers de la pénombre de la soirée ou du clair-obscur offert par une belle lune, au jaillissement croissant de la lumière de l’aurore. Ou simplement une excuse pour l’amplification du récit débuté avec le « Knocking. » Kojo ne tarda pas à fixer cette date, ne voulant pas répéter son erreur précédente. Trois mois après ses fiançailles, on devrait célébrer leur union. Le fantasme rencontra la réalité de manière rapide. Le montant de la dot qu’il devait offrir au chef s’élevait à dix mille dollars. Il apprit cette nouvelle officieusement par le biais de son subalterne. Kojo n’avait que la moitié de ce montant et il ne pourrait aller outre de cette demande. Naturellement, Linda en eut vent et, égale à elle-même, elle inventa une solution pour y remédier.
Abina qui croyait l’avoir neutralisée avait placé la charrue avant les bœufs. En demandant à Linda de prendre soin des levées de fonds, au lieu du chant de cygne de son parcours de maîtresse de Kojo, cette tâche s’ajoutait au répertoire de ses chants de sirène. En effet elle avait accompli ce boulot avec brio, solidifiant sa position d’incontournable auprès non seulement du chef, mais aussi auprès du futur couple. Sa vie, en guise « du trait-d’union du mot peut-être », se résumait par la formule, mission accomplie.
—Je suis prête à te payer dix mille dollars d’avance pour les commandes que je placerai dans le futur.
Elle le suggéra à Kojo pendant un appel téléphonique sachant bien qu’il ne saurait refuser une telle offre généreuse ni le sous-entendu de rendez-vous (au pluriel). Dans ce jeu d’échecs entre deux fines mouches, personne ne put brandir le signe de « V » pour victoire totale. Des mesures de tactique de part et d’autre se neutralisaient. Dans le meilleur des mondes, une résultante prit naissance. Il ne s’agissait ni d’une impasse ni d’une guerre d’usure, mais d’une tolérance permettant un modus vivendi acceptable.
—Je ne suis pas égoïste ou gourmande ; je vous offrirai un rabais pour la restauration de votre mariage. Une offre de Linda à Abina.
Considérant l’envergure d’une telle fête, Abina ne pouvait refuser, car sa famille et elle devraient payer pour les noces et la réception. Kojo et sa famille à part la dot assumeraient le coût d’un festin précédant la célébration. Ainsi Abina conclut que Linda n’était pas une rivale menaçante, mais une fine mouche qu’elle devrait garder dans son camp.
Un accord tacite prit place. Linda ne jouait pas de rôle de rivale, mais participait dans la ploutocratie. Elle connaissait et se servait de tous les rouages du pouvoir et elle en profitait pour avancer ses affaires. Elle n’entravait pas la liaison entre les deux colombes, au début par choix, mais finalement par nécessité, et par sa discrétion et sa finesse, elle ne gênait personne. Avec ses antennes toujours à l’écoute, elle pouvait doubler comme une caisse de résonance. Par-dessus le marché, elle se servait des espèces sonnantes et trébuchantes de manière très habile. Sa nymphomanie, un trait de caractère, ne la disqualifiait en rien. Son équivalent chez les mâles, le satyriasis, ne charrie pas la même connotation négative.
Avec la participation de Linda comme traiteuse de la célébration, Abina avait le champ libre. La nouvelle de cet évènement se propagea comme une trainée de poudre. Les étudiants et étudiantes les plus doués du lycée offrirent leurs talents pour confectionner les tenues vestimentaires du couple. Un geste considérable qui cristallise la surenchère, vu que les habits cousus avec le tissu Kente seraient en exergue dans une véritable parade de parures dernier cri de design et de couleur. Les mariés ne devraient pas venir en deuxième rang dans cette compétition de coupe élégante. Dans une démonstration d’élèves maitrisant les instructions du professeur, le design gagnant dans la compétition, choisi par un jury de pairs, offrit un dessin complémentaire du soleil. Ainsi côte à côte, on verrait un soleil s’étendre de la robe de la mariée au boubou du marié. Les nuances de jaune allaient de soufre à l’or, passant par le chrome, la topaze, le canari, le Naples, le citron, la chartreuse, la moutarde, le mimosa, au verso et au recto de chaque parure. Un étalage vestimentaire de haut de gamme, digne d’expositions au musée, glorifiait l’art de la haute couture et de tissage indigène.
Les festivités durèrent deux jours d’après la tradition. Les mets ressemblaient au menu des fiançailles, cependant sous la direction de Linda, plusieurs autres figurèrent, comme le cabri rôti, de beignets épicés, du nom de « bofrot. » La cérémonie elle-même débuta par l’interaction entre les deux familles. Chaque camp avait son porte-parole et ils s’assirent face à face pour une menue conversation. Les parents du marié dûment apportèrent une longue liste de cadeaux. La fiancée en admettant de prendre son fiancé comme époux trois fois de suite scella le mariage. La liste de convives, tous apprêtés en des tenues dernier cri, dépassa la centaine. Les festivités regorgeaient de victuailles étalées sur des tables garnies, dans une classique démonstration d’une corne d’abondance.
Naturellement, l’oraliture se régala. Tout vrai griot se respectant ne laisserait passer une telle occasion sans ajouter sa propre version. Après plusieurs remaniements, une version finale s’approxima ainsi :
La faune, la flore, Mère Nature même collaborèrent telle une consigne venue du ciel. Jamais n’avait-on vu une telle explosion de teintes parmi les oiseaux venus de toutes parts pour un concert de ramage et de plumage. Un jeune prodige raffolant les différentes nuances de couleurs pour son mariage eut un cadeau précieux. Des espèces rares d’oiseaux comme le canard mandarin, le vautour pape, le choucador superbe, le diamant de Gould, le tisserin palmiste et autres firent leur apparition. Chaque plumage interprétait sa propre version de l’arc-en-ciel.
Les fleurs, ne voulant se laisser pour compte, se sont mises en action et leurs couleurs rayonnaient d’une façon spectaculaire. La queue de renard, la langue de feu, le bec de perroquet, la fleur de flamboyant, bloody lily et les bougainvilliers parmi une multitude amplifièrent leurs teints et leurs nombres.
On aura beau chercher et on ne trouvera pas un évènement pareil dans les annales de l’histoire. Le plus beau cadeau fut la parure que lui et sa belle portèrent. Dans un geste spontané, les élèves du professeur se sont surpassés en égalant ou même en dépassant son esprit créatif en offrant de superbes designs qui plairaient Anansi.
Kojo le tisserand, peut-être un jour rejoindra la légende d’Anansi, mais ce serait trop demander, car il n’existe qu’un César à Rome.
Reynald Altéma, MD