LE RETOUR AU BERCAIL
Reynald Altéma, MD.
(Allocution lue à Cotonou, Bénin, durant la convention annuelle).
À l’aune des interactions humaines, les retrouvailles sur le continent de nos aïeux règnent suprême. Un fait et non une hyperbole. Une réalité encourageante et non un fantasme inutile et creux qui, d’apparence, vous ouvre la porte de la lumière et de l’espoir, mais qui, en fait, vous dirige vers les ténèbres de la déception. Nous voulons plutôt prendre l’initiative pour amorcer la reliure entre le passé, le présent et ce pour mieux ficeler l’ébauche du futur.
Nous qui sommes les descendants de ces individus qui avaient effectué une traversée dangereuse sans leur consentement pendant plusieurs siècles, de notre propre gré faisons la route inverse. Nous voulons trouver la source intarissable du puits qui nous a légué Ésope que La Fontaine a copié sans vergogne, Hannibal stratège hors pair, Imhotep qui a devancé Hippocrate de plusieurs siècles, et plus récemment notre bien-aimé Madiba, une icône mondiale. Nous devons accorder une place spéciale à l’étude de l’histoire du royaume du Dahomey, Danhomè dans la langue Fon, situé sur le plateau d’Abomey. Ce royaume avait la particularité d’une tradition de femmes guerrières, des Amazones réelles et qui capturées comme esclaves, souvent débutaient des insurrections. Ce royaume avait donné du fil à retordre aux colons français avant sa conquête. Il faut connaitre et son histoire et sa destinée, disait feu Bob Marley. Pour peaufiner cette pensée, je dois imiter Frédérick Douglass et dire « Il est plus facile de former des enfants bien instruits que de changer ou convaincre des adultes à l’esprit bancal ». Cette démarche vaut la peine.
Elle plane au-dessus du temps et de l’espace. Le phénomène que nous appelons « le temps » emprunte une voie en sens unique. Son étude peut se définir par le mot « Histoire ». Pour mieux décrire la nuance de notre tâche, laissons un griot de l’Afrique, une coqueluche du monde littéraire de ces dernières années, le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, nous souligner que « l’homme ne remonte pas le cours de l’histoire comme certains poissons remontent le cours de la rivière ; il ne peut que descendre vers le grand delta, l’extrémité de son destin, avant de se jeter dans la grande mer. ».
Autant avouer que nous ne pouvons rien changer du passé. Par contre, nous possédons tous les outils pour empêcher la répétition des bévues commises antérieurement. Les visites que nous avons effectuées sur place aident à nous éclairer sur le vrai récit de la traite des Noirs. Car si jamais on soulève la question épineuse du pourquoi de la participation de nos frères et sœurs dans cette activité honteuse et on veut les condamner, il va falloir nous regarder au miroir et nous poser la question, « Traitons-nous nos frères et sœurs mieux ? »
Nous les descendants des martyrs de la colonisation du Nouveau Monde et qui avons tracé un exemple historique, devons reconnaitre que notre épopée, extraordinaire, inouïe, inédite, demeure une symphonie inachevée autant que le mot restavèk décrive un vécu dans le quotidien. Nous venons comme frères et sœurs qui partagent une affinité culturelle, une expérience similaire dans nos échanges avec les potentats du Premier Monde. D’un côté l’image de nos concitoyens devenus réfugiés, ayant raz le bol de l’insécurité ambiante traversant le Rio Grande du Texas. De l’autre côté, les vidéos de nos frères et sœurs de ce continent confrontant les grandes vagues de la Méditerranée sur des embarcations précaires. Toutes ces victimes souffrent d’un double sort affreux : au début chassées de leur société par la persécution, la faim, l’insécurité, elles reçoivent enfin l’opprobre public en arrivant à destination. Les plages de la Côte d’Azur ou les eaux territoriales de la Floride ne sont pas accueillantes.
Sans crier gare, ceux qui maitrisent le récit distribué à travers les médias laissent sous-entendre que ces phénomènes décèlent une anomalie dans les sociétés des victimes, une anomalie inexistante en Europe. On oublie de mentionner que dans le dix-neuvième et le vingtième siècle, des hordes par millions délaissèrent leurs patelins de l’Irlande à l’Italie pour échapper aux sévices ou fléaux locaux. Sans coup férir, les victimes fuyant la persécution ou la guerre en Ukraine reçoivent le tapis rouge. On ne parle pas d’anomalie de société dans ce cas. Gare à nous de tomber dans le piège de l’analyse biaisée basée sur la loi du plus fort qui permet d’appliquer deux poids deux mesures pour le même phénomène, pourvu qu’il prenne place ici ou ailleurs.
L’affinité que nous partageons peut se voir dans nos proverbes abondants qui expliquent les situations journalières de façon brève et précise. Quand au Bénin on dit que « Un grain de maïs a toujours tort devant une poule. », nous dirons que « Dan pouri gen fòs sou bannann mu. » Au Bénin, on rapporte que « On tue plus avec la bouche qu’avec un arc. » De notre manière pittoresque, nous observerons en toute lucidité « Sa a se yon kout lang doub, li voye w dwat nan simtyè. »
Une description de notre affinité ne serait pas complète sans un pan gastronomique. Soulignons qu’au Bénin on a l’Akassa, une pâte de maïs fermentée accompagnée d’une sauce. Nous avons l’Akasan, une bouillie de la farine de maïs. Nous avons tous les deux le mot Gombo, n’empêche que la description soit différente dans chaque cas. Au Bénin Gombo représente une sauce gluante faite avec des gombos, un type d’haricots. Gombo pour nous indique une plante potagère que l’on peut cuire mille et une façons.
Alors pour égayer l’occasion, joignez vos voix à la mienne, la tête altière, la poitrine bombée, le sourire sur les lèvres pour dire le souhait en Fon, la langue locale, après une absence qui a duré des siècles : « Azan yi aton ! »
Reynald Altéma, MD.