Stratégie pour renforcer la réponse aux soins d’urgences médicales en Haïti
« Lady Diana serait encore en vie si les paramédics français avaient eu les mêmes formations qu’ici (Canada), et si le réseau traumatologique de la France avait été sur la coche » – forum.m4e.com/archive/index.php/t-112798.html.
Alors que les spécialistes français et nord-américains discutent des avantages de leurs différentes doctrines préhospitalières – le SAMU en France: stay and play (stabiliser avant de transporter) et l’Emergency Medical Technician-Paramedic (EMT-P) aux Etats Unis: scoop and run (charger et transporter), la doctrine préhospitalière actuelle en Haïti, « fly » (s’envoler), a été mise en évidence en décembre 2006 lors du cancer de la prostate du Président Préval, en juin 2008 lors de l’accident cérébro-vasculaire du Ministre de l’Agriculture Séverin, et en avril dernier lors de l’embolie pulmonaire du Président Martelly, qui ont du s’envoler vers d’autres cieux pour se faire soigner. Que faire de la majorité des Haïtiens qui ne peuvent pas en faire autant, sinon « stay and pray » (rester et prier)?
Il va sans dire qu’Haïti ne peut adopter ni la philosophie française ni la doctrine nord-américaine. Toutefois, elle peut créer son propre système en accord avec sa conception philosophique de l’urgence, ses ressources humaines et financières, et l’organisation de ses structures préexistantes.
L’urgence médicale peut se définir comme suit : « La perception de toute situation empirant rapidement, ou susceptible de le faire, sans intervention médicale ou même avec ».
L’organisation de l’urgence médicale requiert la mise en place d’un système, d’un processus et d’un continuum depuis les modalités de la prise en charge initiale de l’urgence jusqu’à sa clôture: urgence, communication, soins préhospitaliers, transport, soins hospitaliers, réseau de référence ou de décharge et réhabilitation.
En Haïti, la réponse aux urgences médicales constitue a) une impérieuse nécessité pour la protection des individus, b) le socle sans lequel aucun développement ne peut-être engagé et c) l’un des éléments les plus vitaux que l’Etat doit prioriser au plus vite.
Cette réponse doit aussi viser à : a) l’amélioration des services essentiels des soins d’urgence et leur accessibilité par toute la population b) la mise en application de mesures à faible coût et à fort impact c) l’utilisation rationnelle des ressources locales et des solutions adaptées pour réduire la dépendance continue de l’aide étrangère.
L’urgence préhospitalière
La philosophie de l’organisation d’un système d’urgence préhospitalière en Haïti devrait, à mon avis, s’appuyer sur les prescriptions d’Ivan Illich, un critique des effets de la société industrielle sur l’éducation, la médecine et le développement économique. « Une formation de boy scout, des lois du bon samaritain, et l’obligation d’avoir dans chaque véhicule une trousse de premiers soins préviendraient plus de morts sur des autoroutes que n’importe quelle flotte d’hélicoptères-ambulances » Ivan Illich, 1976.
La réponse aux situations d’urgences préhospitalières demande l’amélioration des moyens et de la qualité des outils d’intervention. A côté des transports spécialisés (ambulances à haute valeur technique médicale), Haïti devrait aussi mettre l’emphase sur l’utilisation des transports locaux traditionnels (moto-ambulances, taptaps, brancards), moins chers et plus adaptés au milieu et à la réduction du temps de réponse aux urgences préhospitalières. Le prix d’achat d’une ambulance non-médicalisée s’élève à près de US$ 60.000 et son coût annuel (entretien, essence, etc.) à US$ 8.000 ; en revanche, ceux d’une moto- ambulance sont de US$ 6,000 et US$ 1.000 respectivement.
Une proportion importante de décès prématurés et d’invalidités est proportionnelle et en fonction du temps de réponse aux situations d’urgence. Par exemple, pour les accouchements – environ deux tiers des décès maternels surviennent dans les quarante huit heures après l’apparition du travail d’accouchement, et les cas graves de choléra peuvent entraîner la mort en quatre heures.
Nous recommandons de créer et d’équiper des Equipes Communautaires pour la Réponse aux Urgences (ECRU) dans toutes les sections communales. L’organisation Mondiale de la Santé estime qu’un pour cent (1%) de la population devrait être formée aux soins immédiats en réanimation. Les ECRU constitueront l’un des piliers de la réponse préhospitalière pour a) éduquer leurs communautés sur la prévention et la gestion des désastres, b) participer à différentes activités préventives, telles que la sécurité publique et sanitaire, c) assister et orienter les victimes vers les institutions compétentes lorsque des professionnels ne sont pas immédiatement disponibles pour les aider.
L’amélioration de la communication avec les secouristes et les ECRU pour optimiser leurs services est primordiale ainsi que l’établissement d’un système homogène de communication. L’introduction d’innovation (par exemple, « TextMedic ») produira un effet de levier avec l’utilisation généralisée des téléphones cellulaires.
Un article publié par Washington Post, le 17 Avril 2012, a rapporté que le « Président Martelly a utilisé un avion commercial à destination de la Floride sur les conseils d’un médecin après avoir éprouvé des douleurs thoraciques et est actuellement en convalescence dans un hôpital de Miami ». Le Président a en effet été diagnostiqué d’une embolie pulmonaire – un caillot sanguin, formé suite à une intervention chirurgicale à l’épaule, a migré dans son poumon.
Le scanner spiralé des artères pulmonaires est l’examen définitif de l’embolie pulmonaire. La scintigraphie pulmonaire permet aussi d’établir un diagnostic positif et un diagnostic de gravité. Que faire si ces tests spécialisés ne sont pas accessibles à la majorité des Haïtiens? Quel serait le meilleur choix pour Haïti?
Il serait peut-être préférable d’adopter en Haïti la doctrine basée sur l’ « Evidence-Based Medicine » (EBM) [Médecine Factuelle], fondée sur l’expérience clinique du praticien, les plus probantes données actuelles de la recherche clinique, les moyens diagnostiques basiques disponibles et les préférences du malade en matière de soins.
L’algorithme suivant pourrait être utilisé chez n’importe quel patient présentant les mêmes symptômes que le Président – a) la radiographie du thorax pour éliminer d’autres cas présentant des symptômes d’essoufflement, b) l’électrocardiogramme (ECG) peut révéler un « cœur pulmonaire aigu », qui se traduit par une fibrillation auriculaire rapide, ( S1Q3) et une tachycardie sinusale), c) la saturation du taux d’Oxygène, d) l’utilisation de la règle PERC (Pulmonary Embolism Rule-out Criteria) [Règles pour exclure l’Embolie Pulmonaire] des malades qui présentent des troubles respiratoires, mais sans avoir à réaliser d’investigations complémentaires, e) l’emploi du score de Wells (pour évaluer la probabilité clinique d’une embolie pulmonaire) et finalement le dosage sanguin des D-Dimères pour aider au diagnostic de la thrombose veineuse profonde et l’embolie pulmonaire.
Par ailleurs, il faut s’assurer que le déplacement en avion d’un malade souffrant d’insuffisance pulmonaire ne cause pas une aggravation de ces symptômes. En effet, la pression de l’air dans l’avion correspond généralement à celle d’une altitude comprise entre 1524 mètres et 2438 mètres et la pression artérielle d’oxygène peut diminuer jusqu’à 60mmHg à une altitude de 2438 mètres. Cette diminution de l’oxygène pourrait aggraver sa détresse respiratoire, augmenter ses arythmies cardiaques et provoquer la formation d’autres phénomènes thromboemboliques.
L’urgence hospitalière:
En ce qui concerne les centres d’urgences médicales, ils doivent être équipés avec un minimum d’appareils et d’intrants essentiels pour répondre aux urgences médicales, telles que : a) équipements: civières, concentrateur d’oxygène, balance médicale, moniteur cardiaque, plâtres d’orthopédie, appareil d’électrocardiogramme, respirateur ou ventilateur, appareil de radiographie portable, défibrillateur, bouteille d’oxygène, et b) médicaments: adrénaline, dérivés nitrés, atropine, lidocaïne, amiodarone, furosémide, solutés, benzodiazépine, bêta2-adrénergiques
Le personnel biomédical pour l’entretien et la réparation des équipements doit être formé dans des appareillages standardisés. Il n’est pas inhabituel de voir dans un hôpital des équipements en provenance de cinq ou six pays différents, tous en panne, après quelques semaines ou mois d’utilisation.
La mise à jour des connaissances médicales des médecins, infirmières et personnel paramédical est impérative pour établir un socle de compétences de base en soins immédiats en réanimation (SIR), soins avancés en réanimation cardiovasculaire (SARC), réanimation néonatale, soins avancés en réanimation pédiatriques (SARP) et soins avancés de réanimation des polytraumatisés. Ce programme doit être renforcé par un plan de formation continue pour leur certification et recertification
En outre, nous suggérons de sélectionner certains centres d’urgence pour y maintenir un inventaire de quatre-vingt dix jours d’intrants pour une utilisation quotidienne. Leur réapprovisionnement serait reconstitué sur une base mensuelle. Lors d’une catastrophe et en cas d’urgences complexes – quand les institutions du pays ne sont plus en mesure d’apporter une réponse immédiate à un événement à cause de son ampleur et/ou sa spécificité – ces intrants seraient immédiatement utilisés et le pays serait médicalement auto-suffisant pendant une dizaine de jours avant de recevoir de l’assistance dans le cadre de l’aide mutuelle. Après la catastrophe, les hôpitaux de nouveau reconstitueraient leur inventaire de quatre-vingt dix jours.
Avant les urgences complexes, les équipes médicales de soutien qui seront déployées dans le cadre de l’aide mutuelle devront être pré-accréditées. Ces équipes médicales locales et internationales seront fournies d’identifications sécurisées pour vérifier leurs identités et leurs compétences, pour les activer, les déployer et les évaluer.
Il y a naturellement des leçons à tirer de la réponse aux urgences médicales en Haïti après le tremblement de terre de janvier 2010, dont une des conséquences involontaires a été la mauvaise répartition des tâches parmi les différents acteurs. Pour créer un système de santé robuste et durable, tout en répondant aux besoins à court terme, les interventions humanitaires doivent mieux intégrer les systèmes existants et la participation des acteurs locaux dans la conception et la mise en œuvre d’un programme d’urgence. Il faut faire une évaluation critique de tous les soins médicaux dispensés et des études scientifiques publiées après le tremblement de terre, analyser leurs faiblesses et leurs forces, et mettre en œuvre de nouveaux modes opérationnels.
L’organisation de l’urgence préhospitalière et hospitalière en Haïti doit aussi prendre en compte a) le renforcement de l’administration médicale, b) le contrôle de qualité des soins dispensés, c) le suivi et l’évaluation pour mesurer l’impact des soins administrés, d) un registre des traumatismes pour suivre le nombre et le lieu des traumas, le type de soins et les résultats obtenus pour définir les futures orientations politiques du pays.
La mise en œuvre d’une politique de soins d’urgence doit non seulement passer d’un système où règne la complexité à un système de simplicité fondé sur la compétence et une clarification des rôles mais doit aussi s’affranchir des visions inadaptées et considérer de nouveaux termes de références pour vaincre les mythes suivants et aller vers de nouvelles réalités:
« Mythes »
1. Des soins spécialisés
2. C’est cher
3. C’est une menace pour les soins de santé existant
4. C’est limité à l’hôpital de référence ou de district
5. Une Diaspora riche devant investir son capital dans les urgences médicales en Haïti
« Réalités »
1. Une bonne pratique de santé publique
2. Un coût faible/ impact élevé
3. Un service complémentaire
4. Possible dans tout type d’installations de soins de santé
5. Une Diaspora riche en capital humain pouvant apporter en Haïti son expertise et son savoir-faire
Aldy Castor, M.D., Président, Haitian Resource Development Foundation (HRDF) et Directeur des Services d’Urgence, l’Association des Médecins Haïtiens à l’Etranger (AMHE) Haiti Medical Relief Mission
(954) 659-7953, (954) 873-0064, (509) 3685-1931
aldyc@att.net
10 septembre 2012
HAITIAN RESOURCE DEVELOPMENT FOUNDATION <hrdf.org>
Aldy Castor, M.D., Président
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Ph 954.659.7953. 954.873.0064, fax 954.659.7957, aldyc@att.net
Haïti: 17, 2ème ruelle Wilson, Pacot, Port-au-Prince, ph 509.3.461.5225
25, Rue Sténlo Vincent, Aquin
Fondée en 1987, la Haitian Resource Development Foundation (HRDF) est une organisation à but non-lucratif 501(C) 3 enregistrée aux Etats-Unis sous le Federal Tax I.D. No. 72-1074482. La HRDF est également reconnue comme une organisation non-gouvernementale par le Gouvernement d’Haïti. Elle est identifiée au Ministère de la Planification et de la Coopération Externe sous la référence: MPCEFP/1993/94/1 et enregistrée aux archive : B-0167. La mission de la HRDF est d’initier et d’assister des projets et des programmes dont le but est le développement des ressources haïtiennes à travers des actions concrètes dans le domaine médical, social, culturel, éducationnel, scientifique et économique